SIKELIANOS ANGELOS (1884-1951)
À Angelos Sikelianos appartient le grand mérite de renouveler l'hellénisme. Par sa poésie sublime, ses drames poétiques, sa prose oratoire, enfin par sa personnalité exubérante, il a puisé dans la pérennité de sa tradition, en se tournant surtout vers la Grèce ancienne, sans pour autant négliger la symbolique chrétienne. Croyant à la mission prophétique du poète, il a voulu harmoniser tout ce qui, archétype vivant dans la conscience grecque, perpétue le sacré. De son vivant, malgré l'admiration ardente d'un cercle restreint ou le respect embarrassé, proche de la stupéfaction, d'un plus vaste public, son audience fut limitée à la Grèce moderne elle-même, en quête de son passé multiple et discontinu. Même si, parfois, l'idée déborde la forme de sa poésie, celle-ci cédant à la grandiloquence, l'œuvre du poète, aujourd'hui, demeure intacte, dans sa plénitude. Il incombe aux générations futures de découvrir cette œuvre hautement spirituelle.
Étapes poétiques
C'est à Leucade qu'il vit le jour en 1884 et il y grandit entouré d'un monde propice. Cette heureuse communion aura été décisive : toute sa poésie en sera imprégnée comme d'une image primordiale de la terre grecque. À Athènes, où il commence des études de droit, il se sent vite dépaysé et il les abandonne afin de se consacrer entièrement à l'écriture. Après quelques esquisses sans éclat, sa première œuvre importante, Le Voyant, littéralement « celui dont l'ombre est légère et qui voit des puissances invisibles », paraît en 1909. Le titre même suggère deux vers des célèbres « Libres assiégés » de Solomos : « Mon cher voyant, dis-moi, qu'as-tu vu ce soir ? La nuit pleine de merveilles, semée de sortilèges ! » En effet, on reconnaît, au long de ces poèmes apparemment indépendants, l'affirmation du moi poétique qu'un élan, divinisé par le poète, emporte et qu'une saveur chtonienne retient ; on y retrouve aussi la fidélité à l'imagerie populaire. Quant à la langue et à la prosodie, elles se veulent en analogie avec le souffle qui les anime. Le vers est tantôt libre, tantôt mesuré, avec des rimes inattendues ; le vocabulaire se conforme à la tradition populaire inaugurée par les chansons démotiques. Le poème, qui dépasse les deux mille vers, exprime déjà une volonté créatrice solidement fondée sur le rythme et la langue grecs.
Ce qui succédera confirmera sa maturation progressive, l'entraînant vers des synthèses de plus en plus personnelles. Ainsi furent publiés pendant les années 1913-1915 des poèmes tels que « Le Chant de Calypso », « John Keats », « Thalero », « La Mère de Dante », certains sonnets et des épinicies, poèmes glorifiants, inspirés du paysage historique ou directement dédiés à des écrivains grecs (Mavilis, Yannopoulos). Il fait ses humanités, étudiant seul l'orphisme, Eschyle, Pindare, et lisant de préférence la littérature italienne. Entre-temps, il voyage à l'intérieur de son pays, dont il ressent profondément, au contact de ses innombrables monuments, la tradition palpitante. Cette première période engendre des poèmes qui sont parmi les plus réussis. L'intention est soumise à une discipline formelle sans faille, la prosodie s'approprie la pure exaltation du corps et de l'esprit ; la langue, tout en privilégiant le règne végétal, s'enrichit ; le vers enfin, au lieu de se perdre dans une musique disparate, maîtrise, par l'achèvement de sa facture, le dynamisme qui l'anime.
Néanmoins, ce qui fut la première semaille, élan fougueux ou densité mesurée, réapparaîtra ensuite. Or, le Prologue à la Vie, qui fut publié en 1914-1915 et fut complété en 1917, contenant les cinq consciences : celle de la Terre, de la Race, de la Femme, de la Foi et de la Création personnelle,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Nicolas LEVENTIS : écrivain
Classification