ANGLAIS (ART ET CULTURE) Aquarelle
Le paysage de l'âme
C'est à John Robert Cozens et à John Constable que l'on doit les aquarelles les plus typiquement romantiques, dans la mesure où le paysage, et singulièrement le ciel, y est « le véhicule du sentiment », selon Constable. Certes, beaucoup d'œuvres de J. R. Cozens peuvent paraître caractéristiques de l'esthétique pittoresque. Le Lac de Nemi et Genzano, vers 1778 (Whitworth Art Gallery, Manchester), en fournit un exemple : choix d'un site légendaire, de contrastes d'éclairages, d'une composition asymétrique. L'artiste fut évidemment marqué par les recherches de son père Alexander Cozens (1717-1786) sur ce qu'il appelait « l'invention du paysage ». Ce pédagogue et théoricien recommandait de confier partiellement au hasard la structuration des paysages. Dans sa Méthode nouvelle pour faciliter l'invention dans le dessin original de paysage (1786), il conseille au dessinateur de partir de « taches » ou griffonnages pour composer des vues pittoresques. Toutefois, l'art de son fils John Robert transcende les recettes pour atteindre une qualité exceptionnelle. Souvent l'artiste multiplie les vues du même site, afin de créer des climats visuels et psychologiques différents, d'explorer toutes les possibilités expressives du lieu, un peu comme un compositeur écrivant des variations sur un thème en soi-même banal. Les lieux de prédilection de l'artiste sont les Alpes, dont il peint les pics enneigés, les gorges étroites et les éboulis de rocher, et d'autre part les collines des environs de Rome, avec leurs lacs et leurs grottes légendaires. Il recherche assez systématiquement l'effet d'étrangeté, soit par un éclairage inhabituel (le contrejour dans Saint-Pierre vue de la villa Borghèse, Whitworth Art Gallery, Manchester), soit par le choix du point de vue (Caverne dans la Campanie, City Art Gallery, Birmingham), soit par un cadrage original (Le Château Saint-Elme à Naples, British Museum, Londres). Quant aux personnages, ils sont minuscules, ou absents, paraissant toujours perdus dans une immensité indifférente ou hostile.
Malgré la brièveté de sa carrière, tragiquement écourtée par la démence et la mort, J. R. Cozens a eu une profonde influence sur les plus grands aquarellistes anglais de la génération suivante, notamment grâce au docteur Thomas Monro, mécène et peintre amateur. Ce dernier soigna l'artiste durant ses dernières années, et lui acheta un certain nombre de ses vues, qu'il encouragea une pléiade de jeunes artistes comme Thomas Girtin, John Varley, Peter de Wint et William Turner à copier.
Cependant, le véritable héritier artistique de J. R. Cozens est John Constable (1776-1837), qui professait pour l'aquarelle une admiration extrême (« Cozens est pure poésie »). On retrouve chez les deux artistes le même goût de la variation sur un même thème pictural et le même souci d'en dégager toutes les possibilités expressives – toutes les humeurs, pourrait-on dire. Constable, certes, a surtout exposé des peintures à l'huile, mais il a pratiqué l'aquarelle durant toute sa vie, et a laissé quelques œuvres majeures dans ce médium, comme Old Sarum, 1834 (Victoria and Albert Museum, Londres) et Stonehenge (id., 1835). Ces deux aquarelles illustrent des sites préhistoriques que le peintre montre sous des cieux chargés, traversés par l'arc-en-ciel. Mais ici la signification est sans doute moins psychologique que philosophique ; l'artiste semble nous proposer une méditation sur le passage du temps qui oblitère le sens des entreprises humaines, sans pour autant en détruire la beauté.
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Écrit par
- Jacques CARRÉ : professeur à l'université de Clermont-Ferrand-II-Blaise-Pascal
Classification
Médias