ANGLAIS (ART ET CULTURE) Aquarelle
Le génie du lieu
Avec Thomas Girtin (1775-1802) et Joseph Mallord William Turner (1773-1851), l'aquarelle anglaise atteignit des sommets de virtuosité jamais égalés. Les deux artistes avaient beaucoup de points communs : tous deux Londoniens, ils avaient appris le métier en travaillant chez des artistes « topographes » exigeant la précision du trait et la maîtrise de la perspective. Tous deux avaient été encouragés par le docteur Monro, qui leur avait fait découvrir et copier l'œuvre de J. R. Cozens. Très vite, Girtin et Turner ont atteint un niveau d'exécution exceptionnel à l'aquarelle, doublé d'un sens aigu de la nuance. Les vues de Yorkshire de Girtin, comme Kirkstall Abbey, 1802 (British Museum, Londres) et Storiths Heights, Wharfdale (coll. privée) allient un art magistral de la composition à un raffinement chromatique exquis. Girtin, comme tous les grands artistes, a rapidement assimilé l'héritage du passé avant de le dépasser en définissant son style propre. Il n'a fait aucune concession au pittoresque et peut être considéré comme le plus classique des grands aquarellistes. Sans distraire le spectateur par des coquetteries de détail, il désigne fermement un sujet principal unique, dans la partie centrale de l'image, et s'attache à en exprimer la richesse plastique particulière. Ainsi, dans La Cathédrale de Durham, 1799 (Whitworth Art Gallery, Manchester), l'artiste met en relief les arêtes des bâtiments empilés sur la colline pour souligner la complexité du paysage urbain résultant du labeur des hommes durant plusieurs siècles. La tonalité rose et ocre de l'ensemble renforce l'unité et la simplicité de l'œuvre, sans en atténuer la complexité. Vers 1800, Girtin était l'aquarelliste anglais qui savait le mieux rendre ce que Pope appelait le génie du lieu, et Turner voyait en son collègue un rival sérieux. Mais Girtin mourut trop tôt pour qu'il y ait jamais concurrence réelle entre ces deux artistes exceptionnels. De toute façon, l'originalité et la fécondité de Turner ont maintenu pendant le demi-siècle suivant l'aquarelle anglaise à un très haut niveau de qualité.
Durant toute sa carrière, Turner a mené de front la production d'aquarelles et de peintures à l'huile. Les premières sont pourtant restées longtemps méconnues ; en effet, l'artiste les a peu exposées, jugeant (avec raison) plus profitable d'asseoir sa réputation sur ses toiles. Mais il a laissé des milliers d'aquarelles, souvent inspirées par les paysages traversés lors de ses nombreux voyages. Elles forment un ensemble prodigieusement riche et varié, dont on n'a peut-être pas encore mesuré pleinement la qualité. Il convient bien sûr de distinguer dans sa production les « ébauches colorées » (colour beginnings), d'une part, où l'artiste se livre, pour son usage personnel, à des confrontations expérimentales de teintes et de tons, sans préoccupation figurative immédiate ; et les aquarelles achevées, d'autre part, souvent destinées au graveur, comme celles qui furent publiées à partir de 1825 sous le titre Picturesque Views in England and Wales. Les sujets étaient souvent, dans la meilleure tradition du pittoresque, des sites britanniques ou continentaux célèbres, dont le public attendait une représentation clairement identifiable. Au début de sa carrière, Turner s'est montré aussi précis que les plus minutieux topographes, comme on peut le voir dans ses séries de vues de cathédrales (Intérieur de la cathédrale de Salisbury : le transept nord, vers 1800, Salisbury Museum). Après 1830, toutefois, il a de plus en plus dédaigné la représentation littérale pour se consacrer à des recherches inlassables sur l'agencement, le contraste, et la transparence des couleurs. Dans le Loch Coriskin, vers 1832 (National Galleries[...]
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Écrit par
- Jacques CARRÉ : professeur à l'université de Clermont-Ferrand-II-Blaise-Pascal
Classification
Médias