ANGLAIS (ART ET CULTURE) Cinéma
La tradition du réalisme social
Le cinéma primitif anglais est marqué par l'école de Brighton : les photographes James Williamson et George Albert Smith y découvrent, en filmant leur ville, les vertus d'un langage cinématographique qui se « fictionnalise ». Mais il faut attendre la fin des années 1920 pour qu'apparaisse John Grierson. Théoricien, maître du documentaire britannique, il réalise en 1929 le révolutionnaire moyen-métrage Chalutiers (Drifters), et, surtout, met en place des unités de production financées par les fonds publics (le ministère de la Poste en particulier). Il prône un cinéma engagé, animé par une saisissante poésie du réel ; sa forte personnalité ne l'empêcha pas de révéler ou de faire venir à lui d'innombrables talents comme les cinéastes Paul Rotha, Basil Wright, Harry Watt, Humphrey Jennings, Alberto Cavalcanti et Robert Flaherty, mais aussi le poète W. H. Auden et le musicien Benjamin Britten. Malgré le départ de Grierson au Canada en 1938, son influence persistera en Grande-Bretagne, y compris pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque le documentaire de propagande sera un banc d'essai pour de nombreux jeunes réalisateurs, parmi lesquels David Lean, Roy Ward Baker, John et Roy Boulting, Frank Launder et Sidney Gilliat.
Au milieu des années 1950, un groupe de jeunes critiques va se révolter contre un cinéma qui se sclérose. Il en résulte le mouvement décisif du Free Cinema, avec des courts-métrages signés Lindsay Anderson, Karel Reisz ou Tony Richardson. Stimulés par l'action parallèle des « jeunes gens en colère », auteurs rebelles qui secouent le monde du théâtre, de la littérature, puis du cinéma britannique (Les Chemins de la haute ville, de Jack Clayton, 1958), les jeunes loups du Free Cinema réalisent à leur tour des longs-métrages où le drame individuel se conjugue à la dénonciation sociale, et dont l'âpreté s'exprime à travers une nouvelle génération de comédiens : Albert Finney dans Samedi soir et dimanche matin, de Karel Reisz, 1960 ; David Warner et Vanessa Redgrave dans Morgan, id., 1965 ; Richard Burton dans Les Corps sauvages, de Tony Richardson, 1959 ; Rita Tushingham dans Un goût de miel, id., 1961 ; Tom Courtenay dans La Solitude du coureur de fond, id., 1962 ; Richard Harris dans Le Prix d'un homme, de Lindsay Anderson, 1963.
Cette veine réaliste est bientôt relayée par une génération de cinéastes formés à la télévision, dont John Schlesinger (Un amour pas comme les autres, 1962), puis Ken Loach. Celui-ci, après de fracassants débuts à la B.B.C., secoue le cinéma britannique par son approche incisive de sujets sociaux, dépeignant des personnages marginaux dont les aspirations se heurtent à l'incompréhension voire la répression de leur entourage (Poor Cow [Pas de larmes pour Joy], 1967 ; Kes, 1969 ; Family Life, 1971). Il parvient à susciter l'émotion par une minutieuse appréhension du réel ; son art ne dédaigne pas le lyrisme, à condition qu'il soit mis au service d'une cause généreuse, comme en témoignera Le vent se lève (2006), bouleversante évocation du conflit irlandais qui lui vaut la palme d'or au festival de Cannes. L'intégrité de son regard n'a pas changé au fil des décennies, mais son approche s'est enrichie d'un humour corrosif, au contact de scénaristes remarquables (Bill Jesse pour Riff Raff, 1991 ; Jim Allen pour Raining Stones, 1993 ; Paul Laverty pour My Name Is Joe, 1998).
Cette démarche réaliste a recoupé celle d'autres cinéastes originaux : la carrière éclectique de Stephen Frears s'est affirmée avec le succès de films écrits par les romanciers Hanif Kureishi (My Beautiful Laundrette, 1985 ; Sammy et Rosie s'envoient en l'air, 1987) ou Roddy Doyle (The Snapper, 1993), dans lesquels la tension sexuelle, l'humour décalé[...]
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Écrit par
- N.T. BINH
: membre du comité de rédaction de la revue
Positif , critique et producteur de films
Classification
Médias