ANGLAIS (ART ET CULTURE) Cinéma
Un cinéma de francs-tireurs
Toutes les tentatives qui ont eu lieu, depuis les débuts, pour tenter de fédérer ou de regrouper les producteurs ou les cinéastes britanniques se sont, jusqu'à présent, soldées par des échecs à plus ou moins court terme : l'une des plus célèbres avait été l'expérience de J. Arthur Rank, tentant de s'approprier, à la fin des années 1940, la plupart des sociétés de production indépendantes qui faisaient la gloire du cinéma anglais ; la plus récente fut la création, en 1999, du Film Council, organisme officiel de soutien à l'industrie. Le fait est que le cinéma britannique, pour le meilleur et pour le pire, a toujours été constitué de francs-tireurs, d'individualités autonomes : sa réussite économique autant qu'artistique est le fruit aléatoire de ce phénomène, qui vient peut-être en partie de l'« esprit insulaire », mais aussi de la réticence des Anglais à considérer le cinéma comme autre chose qu'une industrie du divertissement. Méprisé par les élites, il est ignoré par les pouvoirs publics. Jamais les créateurs ou les producteurs britanniques n'ont constitué de groupes de pression assez puissants pour changer cet état de choses, et pour réglementer la profession en leur faveur, face à la domination des Américains ou à l'exigence d'une télévision devenue commerciale.
Cependant, cet éclatement a alimenté, d'une certaine manière, la richesse créatrice du cinéma britannique, sa combativité face aux contraintes, sa hardiesse dans la marginalité même : comment classifier l'art insoumis d'un John Boorman (Leo the Last, 1970 ; La Guerre à sept ans, 1987 ; Le Général, 1998), le mauvais goût provocateur d'un Ken Russel (Love, 1969 ; Music Lovers, 1970), la petite musique personnelle d'un Terence Davies (Distant Voices, Still Lives, 1988), l'excentricité d'un Peter Greenaway (Meurtre dans un jardin anglais, 1982 ; Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant, 1989), la versatilité boulimique d'un Michael Winterbottom (Butterfly Kiss, 1995 ; Jude, 1996 ; Tournage dans un jardin anglais, 2005) ? L'un des artistes pionniers de cet esprit franc-tireur avait été Michael Powell, dans les années 1940 ; avec son complice Emeric Pressburger, il écrivit, produisit et réalisa un bouquet d'œuvres essentielles, alliant l'audace formelle et le sens du spectacle, l'imaginaire le plus débridé et le souci de l'authentique, l'apologie et la critique des valeurs traditionnelles (Le 49e Parallèle, 1941 ; Colonel Blimp, 1943 ; Une question de vie ou de mort, 1946 ; Le Narcisse noir, 1947 ; Les Chaussons rouges, 1948) ; au terme d'une seconde décennie plus hésitante, il livra en 1960 un film d'horreur scandaleux, testamentaire et incompris : Le Voyeur.
Il est probable que cet état d'esprit indépendant explique à quel point la Grande-Bretagne fut accueillante à des réalisateurs étrangers exilés, transplantés ou simplement « de passage », qui y tournèrent des films importants : Edmond T. Greville, Stanley Kubrick, Richard Lester (les films des Beatles ; Le Knack et comment l'avoir, 1965), Joseph Losey (collaboration avec l'auteur Harold Pinter pour The Servant, 1963 ; Accident, 1967 ; Le Messager, 1970), Roman Polanski (le maître de l'insolite et du fantastique, avec Répulsion, 1965 ; Cul-de-sac, 1966 ; Le Bal des vampires, 1967), Michelangelo Antonioni, Jerzy Skolimowski ou, plus récemment, les Français Patrice Chéreau (Intimité, 2001) et François Ozon (Angel, 2007), en font partie. Il semble qu'ils aient trouvé au Royaume-Uni, ne serait-ce qu'à l'occasion d'une « mode » comme le swinging London pour l'Antonioni de Blow-Up (1966), le terrain propice à la création la plus inventive, à l'art le plus libre. De fait, c'est[...]
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Écrit par
- N.T. BINH
: membre du comité de rédaction de la revue
Positif , critique et producteur de films
Classification
Médias