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ANGOISSE EXISTENTIELLE

Lorsque l'homme s'interroge sur son surgissement dans le monde, il peut certes localiser et dater son apparition parmi les vivants et en préciser les cadres économico-sociaux ; mais, lorsqu'il cherche à justifier le lieu et le temps qui sont les siens, il se trouve acculé à une impasse. L'angoisse est précisément l'expérience naissant de l'inadéquation entre les questions que chaque individu pose au monde, quant à sa propre origine et à sa destinée, et les réponses que ce même monde peut donner : à travers elle, tous les repères définis par le savoir n'apparaissent que comme de dérisoires conceptions résiduelles de la dimension et de l'habitation. Si bien que, dans l'angoisse, ce n'est pas tellement nous qui questionnons le monde que nous-mêmes qui nous trouvons mis en question.

Psychologie et métaphysique

L'angoisse et l'être-dans-le-monde

L'expérience de l'angoisse commence par cette stupor qui saisit saint Augustin lorsqu'il prend conscience qu'il est pour lui-même une grande question et non un ensemble de solutions qu'il n'aurait qu'à assumer en les faisant siennes. C'est pourquoi il écrit : « Je ne puis concevoir intégralement ce que je suis. L'esprit est donc trop étroit pour se contenir lui-même ? [...] C'est sur moi-même que je m'épuise. Je suis devenu pour moi-même une terre de difficulté et de sueurs accablantes. » Dans l'angoisse, l'homme éprouve qu'il est à lui-même ce qu'il y a de plus proche et de plus lointain, puisqu'il se reconnaît incapable de répondre aux questions qui le tourmentent : d'où viens-je ? qui suis-je ? où vais-je ? Par là, l'homme se sent étranger en cette Terre, dépaysé, abandonné sans pouvoir dire, de façon précise, en fonction de quoi son abandon et son dépaysement sont vécus comme tels. D'où cet effroi que Pascal met dans la bouche du libertin : « Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée par l'éternité précédant et suivant, le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l'immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et m'étonne de me voir ici plutôt que là, car il n'y a pas de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m'y a mis ? Par l'ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi ? » Toutes ces interrogations se ramènent finalement à cette question : qu'est-ce qui fait l'être de cet être-là que je suis ? L'angoisse n'est donc pas la peur, car celle-ci est toujours motivée par un être, un objet ou un événement dont nous redoutons l'hostilité et qui sont situés dans le monde ; c'est pourquoi, en tant que telle, l'angoisse est le douloureux privilège de l'homme.

L'angoisse de l'être

Ce qui nous angoisse, c'est donc l'environnement du monde dans son ensemble et, en même temps, l'absolue inconsistance de celui-ci. Telle est l'idée essentielle sur laquelle a insisté Heidegger en précisant que « ce qui angoisse l'angoisse est l'être-au-monde comme tel ». Il est bien remarquable, note-t-il, que, lorsque l'angoisse est passée, nous disons volontiers : Ce n'était rien du tout, car c'est précisément ce rien qui nous angoissait. L'être angoissé éprouve qu'il ne peut se comprendre à partir du monde et qu'il demeure isolé en lui-même : nous sommes angoissés devant notre être-dans-le-monde. Née de notre condition, l'angoisse nous la révèle et se situe au cœur de la relation de l'étant à l'Être. Pour Heidegger, l'existant est, en effet, la négation d'une totalité qu'il constituerait. Cette négation, Heidegger l'appelle Néant[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de philosophie à l'université de Dijon

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Média

Kierkegaard - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Kierkegaard