ANIMISME
Le « néo-tylorianisme »
Pourtant, les vues de Tylor ne peuvent aujourd'hui être tenues pour des absurdités ni même pour de simples curiosités dans l'histoire des idées. Elles gardent un intérêt réel, qui tient moins aux raisons invoquées par Mircea Eliade qu'au fait que Tylor a été le promoteur d'une théorie de la rationalité des cultures « autres », et des croyances « différentes », mesurée à l'aune de la raison scientifique occidentale. Compte tenu des données disponibles à l'époque, la théorie de l'animisme répondait de façon adéquate aux questions soulevées par ces croyances, à première vue irrationnelles, en des entités non humaines (ancêtres, esprits, puissances cultuelles telles que fétiches thérapeutiques, éléments d'ordalie, etc.), croyances propres à des sociétés par ailleurs parfaitement aptes à exploiter techniquement leur environnement naturel. L'anthropologie contemporaine continue de s'interroger sur la nature de la « religion » et de la « magie », le débat étant loin d'être clos. Avec l'animisme, Tylor voulait montrer la rationalité des « religions primitives », une rationalité fondée sur des observations et des déductions logiques, même si celles-ci paraissent erronées au regard de la raison scientifique. La magie ne se trompe que lorsqu'elle prend les relations de similarité entre objets pour des relations de consubstantialité (« mystiques ») ; sinon, elle n'est pas en soi déraisonnable, car les lois ordinaires de la nature physique sont le plus souvent en adéquation avec les intentions des pratiques magiques (concernant, par exemple, la santé, la fécondité, les cultures, la pluie). Localement, l'échec de ces pratiques est expliqué (par l'ignorance d'éléments supplémentaires, par la transgression de prohibitions, etc.). Tylor a ainsi mis en place ce qu'on appelle l'interprétation intellectualiste des faits religieux, poursuivie ensuite par Frazer dans Le Rameau d'or (pour Frazer, la magie est un avatar erroné de la science).
La théorie intellectualiste (« néo-tylorianisme ») a connu un renouveau dans l'anthropologie anglo-saxonne, à la suite des progrès de la philosophie des sciences et de celle du langage. L'anthropologue R. Horton, notamment, s'est opposé aux adversaires de l'intellectualisme : en particulier, à ceux qui, après L. Lévy-Bruhl, considèrent que les pratiques magiques et religieuses « primitives » ressortissent à une logique différente de la nôtre (« prélogique »), à ceux qui les tiennent pour entièrement symboliques (de l'ordre social), et donc justiciables seulement d'une approche herméneutique (E. Leach, M. Douglas), ou à ceux qui, à la suite d'EvansPritchard, estiment que leur apparente incohérence n'est due qu'à des problèmes de traduction et à une mauvaise restitution par l'ethnographe des notions indigènes (par exemple, celle de l'« être » dans l'énoncé nuer : « les jumeaux sont des oiseaux »).
L'intellectualisme de R. Horton pose que les conceptions et pratiques traditionnelles, avant tout instrumentales, sont des tentatives rationnelles et universelles d'« explication, de prédiction et de contrôle » de l'environnement et du cours des événements. Les religions traditionnelles sont des « théories », des cadres conceptuels, dans lesquels les dieux et les esprits constituent des hypothèses théoriques concernant des entités « inobservables » ; ces « théories » peuvent donc être comparées, à ce titre, aux modèles de la physique moderne, par exemple. Débarrassé de ses aspects évolutionnistes, l'animisme tylorien a donc fondé une conception intellectualiste de la rationalité qui est d'une grande importance dans le débat contemporain concernant des thèmes fondamentaux tels que le [...]
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Écrit par
- Mircea ELIADE : professeur à l'université de Chicago
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
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