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AKHMATOVA ANNA (1889-1966)

Les dernières années

En 1940, Anna Akhmatova a pu enfin publier un recueil de ses poèmes anciens, complétés par un sixième livre, Le Saule, qui comprend des vers contemporains du Requiem, mais dominés par le thème du souvenir : ils annoncent par là le Poème sans héros, qui sera l'œuvre majeure des dernières années. Commencée en décembre 1940, cette composition symphonique en trois parties sera achevée, pour l'essentiel, dès 1942. Cependant, Akhmatova ne pourra s'en séparer que vingt ans plus tard, après l'avoir plusieurs fois remaniée et lui avoir apporté de nombreuses additions. La partie centrale en est une Nouvelle pétersbourgeoise évoquant les personnages d'une aventure qui avait, en 1913, défrayé la chronique de la capitale : le suicide d'un jeune poète devant la porte d'une étoile de la société artistique et littéraire de Saint-Pétersbourg, une danseuse, amie de la poétesse, et, comme elle le dira, son « double ». Ce passé vieux de cinquante ans, ressuscité ici sous l'apparence fantastique d'une « arlequinade infernale », est chargé d'une double signification : il représente à la fois cette présence obsédante du passé dans le présent qui matérialise le temps et cette présence du présent dans le passé qui se nomme le destin. Ces deux thèmes, celui du temps comme absence et néant, celui de l'histoire comme destin et comme expiation, dominent désormais toute l'œuvre d'Akhmatova. Cependant, la poésie apparaît toujours, au terme de ce dialogue tragique avec un passé irrémédiable, comme une victoire sur le temps et un gage d'éternité : ce troisième thème, implicite dans la plupart des poèmes d'Akhmatova, est développé en particulier dans le cycle Les Secrets du métier (1936-1960).

Pendant les années de la guerre et de l'immédiat après-guerre, Akhmatova a retrouvé toute sa popularité : ses œuvres choisies sont rééditées en 1943, puis en 1946, et les revues de Leningrad la publient volontiers. Aussi sera-t-elle la cible principale d'une campagne de redressement idéologique, entreprise en août 1946 à la suite d'un rapport de Jdanov devant le comité central du Parti communiste, suivi d'une résolution officielle. Le rapport de Jdanov voit dans l'œuvre de la poétesse la « poésie d'une petite dame enragée, qui s'agite fiévreusement entre son boudoir et son prie-Dieu », et y dénonce « des motifs érotico-amoureux entremêlés à des motifs de tristesse, de nostalgie, de mort, de mysticisme, de désespoir ». La résolution du 14 août 1946 condamne les revues Leningrad et Zvezda (L'Étoile), coupables d'avoir « donné un rôle actif à Akhmatova », introduisant ainsi des « éléments de désordre et de désorganisation idéologique parmi les écrivains de Leningrad ». En septembre 1946, Akhmatova est exclue de l'Union des écrivains et se trouve de nouveau réduite au silence.

C'est pendant ces années de silence forcé qu'elle revient à la traduction, qu'elle a déjà pratiquée vers 1930. Elle écrit également quelques essais en prose, jusqu'à présent inédits, ainsi que des souvenirs, dont deux fragments, l'un consacré à Modigliani, l'autre à Mandelstam, ont été publiés hors de l'Union soviétique.

La résolution de 1946 ne sera jamais ouvertement dénoncée, et c'est cinq ans seulement après la mort de Staline, en 1958, que l'on verra paraître, pour la première fois depuis douze ans, un mince recueil de poèmes d'Akhmatova. Cependant des voix autorisées commencent à s'élever en sa faveur : en 1956, le romancier Alexandre Fadeïev, secrétaire général de l'Union des écrivains, intervient pour faire libérer son fils ; en 1961, le successeur de Fadeïev, le poète Alexis Sourkov, préface élogieusement une nouvelle édition de ses œuvres ; en 1964, à l'occasion de son soixante-quinzième[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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