MAGNANI ANNA (1908-1973)
En septembre 1973, lorsque Anna Magnani s'éteignit (elle était née 65 ans plus tôt en 1908 dans une modeste famille romaine), ce fut comme une immense tristesse qui s'abattit sur Rome. Celle qui pendant tant d'années avait incarné l'esprit populaire de la ville, la gouaille, la rage de vivre, le désir d'amour, n'était plus. Avec le passage des années et la retraite prématurée – après Mamma Roma (1962), on ne la vit plus guère que dans les films télévisés tournés au début des années 1970 par Alfredo Giannetti –, « la » Magnani avait atteint une dimension mythique de femme et de comédienne : c'est à un symbole vivant que Fellini rendit hommage dans Roma en allant l'interroger au moment où, tard dans la nuit, elle rentrait chez elle.
Une carrière inégale
Il y a quelque chose de paradoxal dans la carrière d'Anna Magnani, une sorte de hiatus entre l'immensité de la réputation – qui fait d'elle une sorte d'icône d'un féminisme triomphant – et une carrière artistique en dents de scie, une expérience professionnelle non exempte d'insuccès et où ne figure qu'un petit nombre de grands films. À y regarder de près, en effet, Anna Magnani n'est l'interprète que de quatre grands rôles : la veuve Pina de Rome ville ouverte (1945) de Roberto Rossellini – elle a déjà 37 ans –, la Maddalena de Bellissima (1952) de Luchino Visconti, la Camilla du Carrosse d'or (1952) de Jean Renoir, la Mamma Roma du film homonyme (1962) de P. P. Pasolini.
Les débuts de la comédienne se font sous le signe d'œuvres mineures. Après un premier film tourné en 1934, La cieca di Sorrento de Nunzio Malasomma, elle enchaîne avec des œuvres sans relief où elle ne tient que de petits rôles, souvent de soubrette. Il faut attendre 1941 et Teresa Venerdì de Vittorio De Sica pour qu'elle puisse enfin affirmer une personnalité volcanique dans un personnage d'une certaine consistance, une chanteuse de music-hall. Présente dans deux œuvres de 1943 qui annoncent le néoréalisme, Campo de' fiori de Mario Bonnard et L'ultima carrozzella de Mario Mattoli, elle ne doit de s'imposer qu'à Roberto Rossellini qui lui donne le rôle clé de Rome ville ouverte. Il faut préciser que, dans les années 1930, elle avait conquis la notoriété sur les planches, dans des revues musicales au côté du populaire Totò.
Dans les grandes années du néoréalisme, outre le film de Rossellini, on relève à nouveau beaucoup de titres mineurs d'où n'émergent que Le Bandit (1946) d'Alberto Lattuada et L'Honorable Angelina (1947) de Luigi Zampa : elle y incarne une ménagère qui prend la tête d'une révolte des femmes face à la crise du logement et au chômage. Après les deux sketches de L'amore (1948) de Rossellini, davantage « performance » de comédienne que quintessence d'un style unique, elle touche au sommet de son art sous la direction de Visconti qui la dirige successivement dans Bellissima et Siamo donne (1953). Parallèlement, elle tourne sous la direction de Gennaro Righelli, Carmine Gallone, Mario Mattoli, Mario Camerini et se lance même dans un bras de fer avec Ingrid Bergman, qui l'a supplantée dans le cœur de Rossellini, en interprétant sous la direction de William Dieterle une variation de Stromboli, Vulcano (1950).
Les aléas de la carrière italienne ne l'empêchent pas d'accéder à une immense réputation internationale. Jean Renoir la fait jouer dans Le Carrosse d'or qu'il tourne à Cinecittà – « Grâce à elle, je suis arrivé à la conception de la commedia dell'arte » –, et les Américains l'invitent à Hollywood, où elle apprend l'anglais en un temps record. Suivent alors La Rose tatouée (1956) de Daniel Mann, film écrit spécialement pour elle par Tennessee Williams et qui lui vaut[...]
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Écrit par
- Jean A. GILI : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne
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Média