ORTESE ANNA MARIA (1914-1998)
« Holà vivants ! Personne qui réponde ? » Dans un entretien, Anna Maria Ortese mentionne ce vers qui ouvre un sonnet de Quevedo. Il pourrait, à vrai dire, servir d'épigraphe à toute son œuvre, faite d'imploration, d'impatience, de joies miraculeuses mais bientôt évanouies, et reconduisant à un désarroi plus fort. Une œuvre, aussi, où la quête du sentiment juste face à un monde livré à l'étrangeté – augurale, parfois, mais le plus souvent néfaste – conduit l'écrivain à inventer une « fiction vécue » : long, infatigable appel lancé à un réel dont le sens semble sinon perdu, du moins dissimulé et contrefait.
Une exigence de réalité
Née à Rome en 1914, Anna Maria Ortese, après avoir passé son enfance en Libye, s'établit avec sa famille à Naples en 1928. Elle y vivra, avec des interruptions, jusqu'en 1950, et quittera ensuite cette ville pour Milan, puis Rome (en 1959), avant de se retirer en 1975 à Rapallo, près de Gênes. Ces lieux, qui rythment l'errance d'Anna Maria Ortese à travers l'Italie, correspondent aussi à des étapes précises de sa carrière d'écrivain. Si Naples évoque naturellement un de ses premiers livres, sans doute le plus connu (La mer ne baigne pas Naples, 1953), l'époque milanaise va de pair avec une intense activité de reporter, qui l'amène notamment à travailler pour des journaux et périodiques tels que Milano-Sera, Il Mondo et L'Unità. Au contraire, l'installation à Rome puis sur la côte ligure marque la progressive raréfaction de son activité de journaliste.
Atypique, Anna Maria Ortese l'est par bien des côtés : à l'exception de l'éphémère groupe Sud de Naples, elle ne participe à aucun mouvement littéraire. Un moment proche du Parti communiste, elle donne une relation de son voyage en U.R.S.S., qui sera contestée par certains. Mais sa plus notable originalité réside dans la diversité des genres abordés : nouvelles pour la plupart initialement publiées en revue (Angelici dolori, 1937 ; De veille et de sommeil, 1987), livres composés à partir d'articles de journaux (La mer ne baigne pas Naples ; Le Silence de Milan, 1958 ; La Lente Scura, 1991), romans (Poveri e semplici, 1967 [traduit en français sous le titre Les Beaux Jours] ; Il Porto di Toledo, 1975 ; Le Chapeau à plumes, 1979 ; La Douleur du chardonneret, 1993 ; Alonso et les visionnaires, 1996). Loin d'être la marque d'une dispersion – ou d'une coupure entre « littérature » et « journalisme » –, cette pluralité n'est que l'effet d'une écriture capable de soumettre la chose vue comme le romanesque de situation à une même exigence de réalité, qui trouve son accomplissement dans cette fable de notre temps qu'est L'Iguane (1965). L'écriture, ici, est un ténu fil d'Ariane dans le labyrinthe du monde.
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Écrit par
- Gilles QUINSAT : écrivain
Classification
Autres références
-
ITALIE - Langue et littérature
- Écrit par Dominique FERNANDEZ , Angélique LEVI , Davide LUGLIO et Jean-Paul MANGANARO
- 28 412 mots
- 20 médias
...L’isola di Arturo (1957), La storia (1974), Aracoeli (1982), produit une écriture où se mêlent à des degrés divers le réalisme et l’imaginaire ; Anna Maria Ortese, dont l’écriture baroque et visionnaire donne vie à des personnages où l’humain se mêle à l’animal, comme en témoignent les romans ...