PIC ANNE-SOPHIE (1969- )
Une cuisine audacieuse
Anne-Sophie Pic n’avait pourtant pas choisi cette voie. Diplômée en 1992 d’une école de commerce (l’Institut supérieur de gestion), elle commence son apprentissage en cuisine peu après le décès de son père. Dans ce milieu très masculin, elle tente de s’imposer comme femme et de se former. Les débuts sont difficiles, mais elle prend finalement, en septembre 1996, la direction de la Maison Pic. Épaulée par son mari David Sinapian, directeur du restaurant, qu’elle a épousé trois ans plus tôt, elle se met au travail avec passion : « Je m’offre une liberté complète. L’esprit de la maison reste cependant le même et ne déplairait pas à André et Jacques »,confie-t-elle bientôt. Le couple, complémentaire, fait de l’entreprise familiale le groupe Pic.
Ce sont les images mémorisées de son enfance gourmande qui, inconsciemment, ont déterminé le désir d’Anne-Sophie Pic d’être un jour cuisinière. Elle évoque volontiers sa découverte des produits et des secrets de la cuisine familiale. Et si elle accepte l’héritage et souhaite être à la hauteur du fameux gratin d’écrevisses, qui a autrefois assuré le succès de ses ancêtres, elle est aussi soucieuse de créer une cuisine personnelle, dépouillée, moderne et de haut goût. Au fil des ans, sa sensibilité nourrit une pensée créative, parfois transgressive, qui la conduira à inviter les convives à une initiation olfactive comme anticipation à la découverte gustative. Elle constitue progressivement son propre répertoire culinaire, le homard bleu rôti au beurre de homard, la betterave plurielle aux textures fondantes, la langoustine saisie au beurre de langoustine et bouillon léger à la pomme verte, et bien d’autres plats d’une grande originalité.
En 2007, Anne-Sophie, à la fois timide et volontaire, confiait quelques mois avant la sortie du guide Michelin : « La troisième étoile, bien sûr, j’en rêve, car ce serait renouer avec la tradition familiale. » Elle l’obtient cette année-là, devenant la quatrième femme à atteindre cette consécration, après Eugénie Brazier à Lyon et Marie Bourgeois à Priay en 1933, puis Marguerite Bise à Talloires en 1951. Et elle ne s’arrête pas là : deux ans plus tard, son équipe est récompensée par deux étoiles au restaurant gastronomique du Beau-Rivage Palace à Lausanne. Depuis lors, avec son mari, ils développent au sein du groupe Pic une série d’initiatives fidèles à leurs valeurs : création d’une épicerie fine et d’une école de cuisine à Valence ; ouverture de plusieurs restaurants La Dame de Pic, le premier à Paris, puis un à Londres, un à Singapour et un à Megève. Les récompenses et les distinctions pleuvent, dont le prix du rayonnement français, catégorie gastronomie (2014).
Anne-Sophie Pic fait partie des rares femmes dans le monde à être triplement étoilée. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, en 2021, elle déclarait : « Je défends la mixité en cuisine car elle est source de créativité. » À Valence, elle compte de nombreuses sous-cheffes dans sa brigade, attentives aux valeurs de cette cuisinière hors normes, attachante et passionnée.
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Écrit par
- Jean-Claude RIBAUT : chroniqueur gastronomique, écrivain
Classification
Média