SYLVESTRE ANNE (1934-2020)
« Des chansons de femmes au nom d’une femme »
Anne Sylvestre n’est ni une chanteuse « à texte » ni une chanteuse « engagée ». Elle a ses raisons et l’écrit en 1968 dans « Chanson dégagée », une confession sur son enfance qui passe alors inaperçue, tout comme dans « Roméo et Judith », en 1994 : « J'ai souffert du mauvais côté/ Dans mon enfance dévastée/ Mais dois-je me sentir coupable ? » Anne Sylvestre a en effet gardé son secret pendant de longues années : Albert Beugras, son père, qui est aussi celui de Marie Chaix, écrivaine et ex-secrétaire de Barbara, fut le bras droit du collaborationniste Jacques Doriot pendant la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, il est condamné à la détention perpétuelle, purge plusieurs années de prison à Fresnes et est finalement libéré en 1953. Marie, à qui son père a légué huit cahiers expliquant son engagement au sein du PPF (Parti populaire français), retrace cette histoire familiale (Les Lauriers du lac de Constance. Chronique d'une collaboration, 1974). Anne, de son côté, restera longtemps silencieuse, nourrissant une détestation viscérale de la droite radicale.
Attachée aux libertés, citoyenne, la chanteuse se montre allergique aux « foules, drapeaux, oriflammes », aux discours populistes et alliances tactiques. On lui doit pourtant « Lazare et Cécile », chanson militante écrite en 1965 en faveur « du droit d’exister sous le regard des autres ». Elle s’oppose à la guerre, qui prive les enfants de père et les femmes d’amants (« Mon mari est parti », 1961, chanson composée en pleine guerre d’Algérie) autant qu’à l’ordre moral. Elle parle de l’homosexualité (« Xavier », 1981, chanson plébiscitée par la communauté homosexuelle). Elle radiographie l’étouffante misogynie (« Une sorcière comme les autres », 1975), décortique le viol (« Douce maison », 1978). « Féministe, oui. C’est la seule étiquette que je ne décolle pas », affirme l’auteure de « Non, tu n’as pas de nom » (1973), chanson écrite alors que le combat se mène pour l’avortement et le droit des femmes à disposer de leur corps.
En 1997, Anne Sylvestre publie un album succulent, Chante… au bord de La Fontaine, seize chansons inventées à partir des Fables de Jean de La Fontaine, qui dénoncent le racisme ambiant, la bêtise et l’injustice.
Accompagnée au piano pendant trente-cinq ans par François Rauber puis Philippe Davenet, elle s’est ensuite entourée de femmes musiciennes. En 2013, elle publie Juste une femme, dont la chanson éponyme est un acte #MeToo avant l’heure.
Anne Sylvestre meurt à Paris le 30 novembre 2020.
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Écrit par
- Véronique MORTAIGNE : journaliste
Classification
Média
Autres références
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- 2 264 mots
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