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ANNETTE (L. Carax)

Proximité du gouffre

Mais, petit à petit, tout va se dérégler. « Quelque chose ne va pas », constate Henry, qui chante maintenant « Love makes me sick »… Pourtant, une petite fille est née, Annette, dans une scène là encore d’une « inquiétante étrangeté » où, par un artifice dont on laissera la surprise au spectateur, nous comprenons que l’enfant est « d’un autre monde ».

Médiatisées à outrance, les relations du couple se détériorent. Henry sombre dans l’alcool. La capuche de son peignoir évoque presque une cagoule. Il est hué lors d’un show à Las Vegas. Plusieurs femmes portent plainte contre lui pour abus sexuels ‒ le scénario, écrit huit ans avant la sortie du film ‒ anticipait sur l’affaire Weinstein. Il reviendra à Baby Annette de se porter au-devant de la scène. Son regard d’une grande douceur, la finesse de ses traits évoquent les personnages en quête d’absolu des premiers films de Carax. Tant de pureté contraste avec la toxicité des parents, une mère entre les mains de laquelle elle a l’impression de n’avoir été qu’un jouet, un père alcoolique qui sombre dans la folie et le meurtre.

Si son film traite des revers de la célébrité, Leos Carax dit lui-même avoir veillé à ce que cette histoire de « mauvais père » ne choque en rien sa propre fille, très jeune, quand il découvrit le scénario. Le film lui est d’ailleurs dédié, et elle apparaît à ses côtés dans la scène d’ouverture. Avec Annette, le cinéaste poursuit un seul but : retrouver et faire partager l’émerveillement du cinéma des origines, reconstituer toutes les formes du show, music-hall, opéra, jusqu’au gigantisme d’un stade démesuré au-dessus duquel apparaît, annoncée dans le bruit et la fureur, une enfant qui se voile la face devant tant de vulgarité… Marion Cotillard a été choisie pour son visage qui, comme l’avait bien vu James Gray avec The Immigrant (2013), possède la grâce et le mystère des actrices du muet. S’il peut, dans un souci d’économie, s’adapter aux nouvelles techniques, Carax privilégie l’artisanat. Dans une superbe chorégraphie lumineuse de Holy Motors, il dénonçait les abus de la « performance capture », qui consiste à recouvrir de capteurs lumineux le corps d’un comédien afin de transmettre ses mouvements à des créatures de synthèse… Ici, dans une scène de tempête où le couple se déchire sur un yacht battu par les trombes d’eau d’une mer déchaînée, il préfère avoir recours aux projections frontales héritées de Méliès. Et c’est un petit kaléidoscope lumineux évoquant les lanternes magiques d’Émile Reynaud avant la naissance du cinéma qui révèle les talents de chanteuse de Baby Annette.

Annetterestera le film qui aura permis à Leos Carax de jongler avec tous les archétypes ‒ romanesque, lyrisme, tragédie, fantastique ‒ pour nous quitter sur la mélancolie d’un duo entre père et fille déchirant.

— Bernard GÉNIN

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Média

<em>Annette</em>, L. Carax - crédits : CG Cinéma International/ Tribus P Film

Annette, L. Carax