MESSAGER ANNETTE (1943- )
Une vision « irréaliste »
Il est vrai que l'utilisation de ce moyen par l'artiste est aux antipodes de tout « réalisme » et de toute « volonté de vérité ». Cet outil lui permet de jouer avec le vrai (elle aime utiliser pour ses prises de vue de « vraies » personnes avec de « vrais » corps), mais nullement d'être dans le vrai. La série des Chimères qu'elle réalise au début des années 1980 est à cet égard une manière d'éloge du mélange des genres. « Coupeuse de têtes photographiées, dompteuse d'araignées de papier », utilisatrice de « photos repeintes, de lentilles déformantes, d'agrandissements déformés, de gros plans troubles et de surimpression de clichés », Annette Messager se revendique truqueuse et falsificatrice. Avec Georges Méliès, dont elle partage le goût pour les « vues à transformation » et les substitutions, elle pense que « les artistes sont les voyageurs de commerce des mystères rationnels ». Ce qu'elle donne à voir avec ses Chimères, c'est l'éternelle, la banale fascination des images, la persistance d'un imaginaire qui, des Apocalypses médiévales au symbolisme, des contes de fées au romantisme noir, de Blake et Goya à Hitchcock, traverse l'histoire de nos goûts et de nos cauchemars.
Les « monstres » construits de toutes pièces par Annette Messager (perpétuant à sa manière la tradition de Mary Shelley) n'ont en effet rien d'extraordinaire. Constitués des fragments de corps prélevés dans l'entourage immédiat de l'artiste, ils se font les cruels et dérisoires témoins de notre précarité de nature. Cette mise en pièces jubilatoire n'en constitue pas moins une ode amoureuse au corps humain. En découpant ses morceaux choisis, elle retrouve une double tradition, celle, poétique, du blason médiéval et maniériste, celle, superstitieuse et fétichiste, des ex-voto catholiques. En ce sens, ses Petites Effigies, ses Trophées (de grandes photographies accrochées comme des tableaux anciens) et ses Vœux (une accumulation de petites photographies suspendues à la manière d'ex-voto) expriment bien, à la fin des années 1980 et en 2000 avec Eux et nous, nous et eux, une expérience du corps qui ne peut s'incarner que sur le mode de la dépouille et du fragment, à travers des substituts du vivant (peluches et animaux naturalisés).
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bernard MARCADÉ : critique d'art, professeur d'esthétique à l'École nationale d'arts de Cergy-Pontoise
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Autres références
-
INSTALLATION, art
- Écrit par Bénédicte RAMADE
- 3 512 mots
- 1 média
...dans le médium de l'installation ont opté pour une voie beaucoup plus séquencée, où l'improvisation du spectateur ne fait pas partie du jeu. C'est le cas d'Annette Messager qui, depuis 2002, crée de véritables mises en scènes, mécanisées et scénarisées où le visiteur suit le tempo qui lui est imparti.... -
MUSÉES PERSONNELS
- Écrit par Gilbert LASCAULT
- 1 623 mots
Certains artistes ont mis en œuvre une pratique qui tend à modifier nos conceptions de l'art, de la collection, de l'ordre. Cette pratique va, le plus souvent, vers un éloge du foisonnement, de l'accumulation, du bric-à-brac. Ces aventures individuelles valorisent les musées ethnologiques, les musées...
-
PHOTOGRAPHIE (art) - Un art multiple
- Écrit par Hervé LE GOFF et Jean-Claude LEMAGNY
- 10 750 mots
- 20 médias
La photographie en noir et blanc est amplement présente dans le registre du questionnement sur la féminité chezAnnette Messager, dans des installations murales associant tirages et matériaux textiles. Éric Rondepierre joue sur l'ambiguïté permanente entre sens et apparence à partir de photogrammes....