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ANOMIE

Émile Durkheim - crédits : Bettman/ Getty Images

Émile Durkheim

Le concept d'anomie forgé par Durkheim est un des plus importants de la théorie sociologique. Il caractérise la situation où se trouvent les individus lorsque les règles sociales qui guident leurs conduites et leurs aspirations perdent leur pouvoir, sont incompatibles entre elles ou lorsque, minées par les changements sociaux, elles doivent céder la place à d'autres. Durkheim a montré que l'affaiblissement des règles imposées par la société aux individus a pour conséquence d'augmenter l'insatisfaction et, comme diront plus tard Thomas et Znaniecki, la « démoralisation » de l'individu. De cette démoralisation, Durkheim voit le signe dans l'augmentation du taux des suicides. En effet, le suicide « anomique », qui vient de ce que l'activité des hommes est déréglée et de ce qu'ils en souffrent, a tendance à se multiplier en période de crise politique ou de boom économique. De même, il devient plus fréquent là où les mariages étant plus fragiles l'homme est apparemment plus libéré des contraintes morales.

Le concept durkheimien d'anomie a fait l'objet de réflexions et de recherches de la part des sociologues contemporains, comme Merton et Parsons. Mais le développement le plus intéressant, quoique plus ancien, de la théorie de l'anomie se trouve peut-être dans les travaux de Thomas et Znaniecki sur les effets de la transplantation sociale. Dans leurs études sur les immigrants polonais aux États-Unis, les auteurs ont montré que la transplantation provoquait une « désorganisation sociale » des familles et, corrélativement, une démoralisation des individus, qui mènent une existence dépourvue de but et de signification apparente. La théorie de l'anomie paraît d'importance fondamentale à une époque qui, comme la nôtre, est caractérisée par des changements rapides. En effet, le changement implique le vieillissement des règles de conduite traditionnelles en même temps que l'existence, dans les phases de transition, de systèmes de règles mal établies ou contradictoires. Il serait important de savoir dans quelle mesure le changement entraîne effectivement la démoralisation prévue par Durkheim, et dans quelle mesure cette dernière amène, à son tour, une détérioration des institutions. La théorie de l'anomie devrait donc pouvoir être appliquée à l'analyse du comportement des individus et du fonctionnement des institutions en situation de changement, comme elle a été appliquée à celles des conduites déviantes et des transplantations sociales.

L'anomie de Durkheim

Comme le rappelle le sociologue américain Robert K. Merton, le mot « anomie » est apparu au xvie siècle à peu près dans le sens qu'il revêt aujourd'hui. Mais sa consécration est due à Durkheim, qui fait un usage systématique du terme dans sa thèse de doctorat, De la division du travail social, et dans son livre Le Suicide.

Une fois réintroduit par Durkheim, le mot a été largement accepté ; il est devenu un concept important de ce qu'on appelle, sans doute improprement, la théorie sociologique. Des chapitres consacrés à l'anomie apparaissent, par exemple, dans les grands ouvrages théoriques de Merton ou de Parsons.

Anomie et division du travail

Dans De la division du travail social, Durkheim consacre son livre troisième aux formes anormales de la division du travail et le premier chapitre de ce livre à la division du travail anomique. L'idée générale de la théorie de Durkheim consiste dans l'affirmation que les sociétés évoluent d'un type de solidarité mécanique à un type de solidarité organique. Dans le premier cas, les éléments qui composent la société sont juxtaposés. Dans le second, ils sont coordonnés. Le passage de la solidarité de type mécanique à la solidarité de type organique est associé à l'apparition et au développement de la division du travail. Nos sociétés[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Académie des sciences morales et politiques, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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