SADATE ANOUAR EL- (1918-1981)
La cause de la paix
Le coup de théâtre du voyage à Jérusalem en novembre 1977 découle de ce pari. Il peut, selon l'analyse qu'on en fait, être interprété comme une fuite en avant mal calculée ou comme une initiative audacieuse visant à retourner en sa faveur l'opinion publique américaine, y compris celle des milieux juifs, et même l'opinion publique israélienne. Le problème essentiel pour Sadate est de mettre Begin dans une position qui l'oblige à faire des concessions. À moyen terme, Sadate a de toute façon sous-estimé l'ampleur des réactions arabes et même celle de l'opinion publique égyptienne. Son discours de Jérusalem reprenait certes en compte les droits des Palestiniens à un État indépendant, mais il ne mentionnait pas l'O.L.P.
Puis, lors des négociations de Camp David en septembre 1978, il abandonne l'idée d'un règlement global au Moyen-Orient pour s'acheminer vers un traité de paix séparée avec Israël. Certes, l'idée d'un processus d'autonomie pour les Palestiniens demeure incluse dans l'accord, mais avec une ambiguïté croissante sur le contenu de cette autonomie. Il est vrai que l'interprétation des accords de Camp David se fait sur ce point en un sens uniquement favorable aux Israéliens, justifiant les craintes de Damas et de l'O.L.P. ainsi que les thèses des mouvements islamiques.
La rupture entre l'Égypte et les pays arabes est consommée à la conférence de Bagdad en décembre 1979. Les conséquences ne sont pas immédiates et l'évolution à court terme semble donner raison au président dans son dédain des contingences. Le succès qu'il rencontre dans l'opinion publique occidentale et dans les médias internationaux compense largement pour lui les critiques du monde arabe et celles de ses opposants. Ces louanges lui masquent des tensions croissantes que la société égyptienne ne pouvait sans doute supporter. En dépit des précautions oratoires, l'abandon de la cause palestinienne et de la solidarité avec les autres pays arabes que supposent une paix séparée et une interprétation de l'autonomie évoluant dans le sens voulu par Israël entraîne pour le président une perte de légitimité portée à son comble lors du bombardement israélien de la centrale nucléaire irakienne de Tamouz au lendemain de la rencontre Sadate-Begin en juillet 1981.
Or, sur le plan intérieur, rien ne vient compenser cette évolution défavorable. La politique d'ouverture économique entraîne là aussi des difficultés insupportables. Ne bénéficiant qu'à la haute bourgeoisie d'affaires et à un groupe limité de fonctionnaires et d'hommes politiques, elle développe la consommation des produits de luxe et une hausse des prix intérieurs, alors que les revenus modestes n'augmentent pas.
Les modèles culturels et les produits occidentaux pénètrent une société qui n'est pas préparée à les accepter. Les lois sur le respect des valeurs islamiques et l'adoption de la charia comme fondement du droit ne constituent pas des compensations suffisantes pour calmer les opposants ni pour freiner une évolution sociale incontrôlée. Il en résulte un renouveau des tensions confessionnelles dégénérant en violences. Le président y voit surtout un complot pour ternir son image libérale en Occident et réagit à son tour à ces critiques et à ces oppositions par des arrestations et des internements arbitraires qui ne font qu'accroître son isolement politique et le désir de vengeance de ses opposants.
Sa mort mal expliquée et son enterrement à la sauvette (si on le compare aux obsèques de Nasser) sont le témoignage de l'échec de sa politique, laquelle visait à faire partager par le peuple égyptien, soutenir par l'Occident et accepter par Israël un projet d'évolution du Moyen-Orient trop ambitieux dans sa précipitation et ses conséquences.[...]
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Écrit par
- Rémy LEVEAU : professeur à l'Institut d'études politiques de Paris
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