KIEFER ANSELM (1945- )
L'Allemagne contemporaine, comme en témoigne la collection du Bundestag de Berlin où figure Le Vent, le temps et le son (1997), la grande toile dédiée à Ingeborg Bachmann (1926-1973), doit à ses artistes, parmi lesquels Anselm Kiefer tient une place reconnue, une part importante de son statut international. En effet, ces derniers n'ont pas seulement conquis une renommée individuelle, ils ont affirmé à partir des années 1960 une idée de l'art allemand qui n'était acceptée à l'époque de la reconstruction et de la division entre R.F.A. et R.D.A. que sous certaines conditions. La première d'entre elles, l'adhésion aux modèles extérieurs, signifiait à l'Ouest le choix de l'abstraction, du minimalisme ou du pop art. C'est avec ceux-ci que, délibérément, Anselm Kiefer va rompre.
Dès ses débuts, après des études de droit, de littérature et de linguistique à Fribourg-en-Brisgau et Karlsruhe, il conçoit son activité comme une exploration du passé national-socialiste dépassant le filtre d'une mémoire officielle. Il recourt pour cela à des images photographiques ou à des modèles picturaux qui affirment la virulence de certaines images considérées comme taboues ou annexées aux valeurs nationalistes. La peinture en tant que médium, notamment dans ses grands formats de peinture d'histoire et dans sa fonction figurative, possédait par elle-même une mémoire dont l'artiste voulait affirmer une dimension plus complète faite de complexité, de douleur, de hantise, sans postuler le jugement comme un principe de base dispensant de toute expérience personnelle. Depuis lors, cette démarche s'est développée de manière cohérente par reprises et variations de certains thèmes mythologiques, par associations de formes et de matières, qui font de Kiefer le concepteur d'installations et d'expositions qui lient étroitement la peinture et le relief sculptural, comme si son art devait être avant tout un vecteur de méditation.
Un peintre d'histoire ?
En s'adressant à la conscience du spectateur, Kiefer n'exclut pas le monumental, la démesure, une forme de prédication dans un monde détruit. Mais il sait aussi interroger l'histoire sur l'essentiel, loin de tout esprit d'illustration, dresser le plan de l'art dans une culture qui a souvent cherché à l'utiliser à des fins politiques et nationales, et surtout déborder les limites expressives convenues en restant fidèle à lui-même.
Cette cohérence, particulièrement visible en 2007 dans le cadre de l'exposition Sternenfall (Chute d'étoiles) au Grand Palais à Paris,, mais déjà lisible en 1980 au Pavillon allemand de la biennale de Venise, implique le débat parce qu'elle prétend à une forme d'autorité qui laisse peu d'alternative. Si Kiefer fuit la facilité formaliste, il ne se tourne pas pour autant vers un art austère plaçant l'idée comme une fin en soi, mais, au contraire, vers un art expérimental, paradoxalement lumineux, ouvert aux ambivalences, faisant appel aux sensations et à l'imaginaire, et par là même d'autant plus hanté par la mémoire, la mélancolie et le deuil. Cette mémoire ne pouvait s'établir sur une tradition brisée en 1933 par le nazisme. Kiefer avait donc à la recréer pour en faire usage. À plusieurs reprises, notamment en 1976 avec Piet Mondrian. La bataille d'Hermann (Stedelijk Van Abbemuseum, Eindhoven), Kiefer déclare son hétérodoxie de peintre par rapport à l'histoire moderniste. Il conteste à tous niveaux l'idée d'une histoire purifiée et réintroduit le drame, le mythe, l'obscurité des origines dans l'utopie du néo-plasticisme. Mais, avant même d'entrer dans la substance d'une contestation qui ne prend jamais un tour doctrinal, l'artiste eut à se trouver lui-même. Exposée dans le cadre du diplôme de l'Académie des beaux-arts de Karlsruhe[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Éric DARRAGON : professeur émérite d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Classification
Autres références
-
DE L'ALLEMAGNE (exposition)
- Écrit par Lionel RICHARD
- 1 122 mots
- 1 média
Le directeur du Louvre, Henri Loyrette, a demandé à l’artiste allemand Anselm Kiefer une œuvre appelée à figurer au seuil de cette exposition. Pourquoi Kiefer ? En 2008, il a reçu, avec Christian Boltanski, le prix Charles de Gaulle-Konrad Adenauer, destiné à récompenser des personnalités ayant contribué...