SZERB ANTAL (1901-1945)
Le principal représentant de la « génération des essayistes », à laquelle appartenaient entre autres Gábor Halász (1901-1945) et László Cs. Szabó (1905-1984), fut Antal Szerb (né à Budapest). Ils étaient liés par l'intérêt porté à la littérature contemporaine produite autour de la revue Nyugat (Occident, 1908-1941) et par leur hostilité envers l'histoire littéraire académique, engoncée dans son positivisme. Chacun d'eux se retourne contre le fascisme et l'américanisme : Halász en exaltant l'époque des Lumières dans Az értelem keresése, 1938 (À la recherche de la raison), Cs. Szabó et Szerb en se glissant dans la peau des figures historiques traitées avec autant de nostalgie que d'ironie.
Parmi eux, c'est Antal Szerb qui s'oppose de la façon la plus exemplaire à la montée de la barbarie. Grâce à son humanisme, son œuvre n'a pas vieilli un seul jour : son Histoire de la littérature hongroise et sa Littérature mondiale demeurent les meilleurs manuels écrits en hongrois en la matière.
L'œuvre scientifique de Szerb témoigne de l'attirance que la création artistique exerce sur lui : on y observe un savant mélange d'art et de théorie, d'intuition et d'érudition. Les qualités intrinsèques de ses écrits répondent aux exigences du courant philosophique nommé Geistesgeschichte qui voit dans le style, le « caractère » des époques, un principe explicatif. Wilhelm Dilthey (1833-1911) et Friedrich Gundolf (1880-1931) en sont les représentants allemands et exercent une forte influence sur la revue hongroise Minerva (1922-1930) qui réunit des chercheurs en sciences humaines comme Gábor Halász ou Tivadar Thienemann. Les premiers essais de Szerb y sont publiés, qui analysent le rapport liant l'intellect, la conscience et l'inspiration poétique (Babits, Berzsenyi, Vörösmarty) ou la typologie des phénomènes culturels : Az udvari ember, 1927 (Le Courtisan) ; Magyar preromantika, 1930.
Les romans-essais de Szerb bénéficient, eux aussi, de la rigueur scientifique, de la souplesse de l'essai et de ce qui rend tellement vivants ses personnages réels ou fictifs : son don d'empathie. Ses impressions de voyages médiatisées par la fiction romanesque et par le déplacement dans le temps font revivre l'adolescence à travers l'Italie dans Utas és holdvilág, 1937 (Voyageur au clair de Lune), les derniers moments de l'Ancien Régime en France dans A királyné nyaklánca, 1943 (L'Affaire du collier) ou encore l'atmosphère rosicrucienne en Angleterre dans Pendragon legenda, 1934 (Légende de Pendragon). Le héros de ce dernier roman, un philologue maladroit, tombé au beau milieu d'une histoire de revenants, est traité avec une ironie douce qui laisse transparaître son enracinement autobiographique. Quant au voyageur (Voyageur au clair de lune), en quête de la mort qu'il identifiait dans ses jeux de jeunesse à l'amour absolu, il est lui aussi une de ces figures qui permettent à l'auteur de fuir un monde de plus en plus oppressant... dans le miracle. C'est là une tendance générale de la littérature contemporaine, analysée à travers les figures de Joyce, Proust, Gide, entre autres, dans Hétköznapok és csodák, 1935 (Jours ordinaires et miracles).
« La littérature hongroise est la copie en miniature de la littérature européenne », écrit Szerb dans Magyar irodalom története, 1934 (Histoire de la littérature hongroise) pour s'inscrire en faux contre l'opinion des « populistes » qui insistent sur les différences qui séparent ces deux mondes. Sa conception « périodique » de la littérature, fondée sur une sociologie des créateurs et du public, démontre que la culture vient des milieux les plus ouverts au monde. Szerb distingue l'époque de la littérature ecclésiastique, seigneuriale, nobiliaire et bourgeoise. Grâce à la méthode[...]
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Écrit par
- Véronique KLAUBER : auteur
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