ANTÉCHRIST
C'est dans un texte du Nouveau Testament — la première Épître de Jean (fin ier/déb. iie s.) — qu'apparaît pour la première fois le mot grec antichristos, dont le français « antéchrist » est le calque imparfait. Cependant, on voit se former l'idée d'un antimessie — c'est ce que signifie proprement antichristos — bien avant l'apparition du christianisme. En effet, les espérances eschatologiques qui grandissent dans le judaïsme après le retour d'exil s'accompagnent fréquemment de l'attente d'un affrontement suprême entre Dieu et les forces du mal. Or ces dernières semblèrent à plusieurs reprises s'incarner dans un personnage historique, notamment lorsque Antiochus IV Épiphane affecta le Temple de Jérusalem au culte des idoles et défendit aux Juifs l'observation de la Loi. Un personnage bien différent de cet étranger et de ce païen paraît avoir fourni d'autres traits à l'image de l'antimessie : c'est l'« homme de mensonge », la « créature de Bélial » des écrits de Qumrān, le persécuteur cruel et perfide du « maître de justice » et de ses fidèles. Cette figure maléfique dissimule un des représentants de la dynastie — juive et sacerdotale — des Hasmonéens. De fait, l'imposture du mauvais prêtre côtoiera la fureur du tyran dans le portrait classique de l'Antéchrist.
Ces données, empruntées à l'actualité, mais projetées sur l'horizon eschatologique, se mêlent parfois à des mythes issus d'un lointain passé. Dans les récits de visions du livre de Daniel, composés juste avant la révolte des Maccabées, les quatre empires qui ont dominé successivement l'Orient sont représentés par quatre bêtes monstrueuses. La quatrième symbolise la monarchie séleucide. Cette bête porte plusieurs cornes dont la dernière figure le plus impie des souverains, Antiochus Épiphane (Dan., vii, 23-25). Cette imagerie est reprise dans le chapitre xiii de l'Apocalypse. Les puissances mauvaises y forment une sorte de trinité démoniaque qui sévira à la fin des temps. Le grand dragon, c'est-à-dire Satan, transmettra alors son trône et son empire à une bête sortie de la mer. Cette bête monstrueuse, portant sept têtes et dix cornes, sera la contrefaçon de l'agneau, qui, dans l'Apocalypse, figure le Christ : elle singera sa mort et sa résurrection, tout en combattant ses fidèles. Une seconde bête, venue cette fois de la terre, organisera le culte de la première en se servant d'artifices magiques qui séduiront les foules. Les hommes qui refuseront d'adorer l'image de la première bête seront mis à mort. Mais ce règne diabolique n'aura qu'un temps, et le Christ viendra dans sa gloire pour y mettre fin. Ici encore, des réalités historiques précises renouvellent l'antique imagerie : les conquérants romains venus de la mer, l'obligation de rendre un culte à Rome et à l'empereur, l'attente d'une réapparition miraculeuse de Néron après son suicide.
Bien que le mot d'Antéchrist ne se rencontre jamais dans l'Apocalypse, il est facile de reconnaître le personnage dans la bête sortie de la mer. On peut, il est vrai, s'interroger sur la véritable signification de cette dernière : représente-t-elle un individu ou un groupe ? Selon une tradition attestée par les évangiles synoptiques (Matt., xxiv, 24 ; Mc., xiii, 22), et par la première Épître de Jean (ii, 18), il y aura beaucoup de pseudochrists ou d'antéchrists, et ils sévissent même déjà dans les communautés chrétiennes : ce sont les premiers hérétiques. Mais la deuxième Épître aux Thessaloniciens — dont on conteste aujourd'hui l'attribution à saint Paul — évoque l'« homme d'iniquité », le « fils de perdition », qui viendra porter l'impiété à son comble avant d'être[...]
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Écrit par
- Hervé SAVON : docteur ès lettres, professeur à l'Université libre de Bruxelles
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