ANTHROPOCÈNE
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L’Anthropocène (du grec anthropos, « homme », et kaïnos, « récent ou nouveau »), concept dont les origines remontent à la fin du xviiie siècle, s’est largement répandu au début des années 2000 sous l’impulsion de quelques scientifiques et sociologues pour qui il désigne le « temps de l’Homme », en raison de l’impact évident de nos activités sur l’environnement et donc sur la Terre. Il est au cœur de nombreux débats scientifiques. Par construction, le terme Anthropocène fait référence à un intervalle de temps géologique récent. Il inscrit de ce fait l’Homme dans l’échelle des temps géologiques. Les géologues ont ainsi été contraints, sous la pression socio-médiatique, d’étudier la question suivante : l’Anthropocène est-il un intervalle de temps au sens géologique du terme, c’est-à-dire répondant à tous les critères nécessaires pour en fixer la limite inférieure ? Le 20 mars 2024, après une quinzaine d’années de travaux, l’Union internationale des sciences géologiques (en anglais, IUGS pour International Union of Geological Sciences) a rendu son verdict : l’Anthropocène n’a pas de fondement géologique. Toutefois, elle reconnaît que cette notion reste pertinente pour débattre des effets des activités humaines sur l’environnement.
Un peu d’histoire
Dès la fin du xviiie siècle, Buffon (1707-1788) soulignait dans Les Époques de la Nature, l’empreinte de l’Homme sur son environnement. En 1873, l’Italien Antonio Stoppani (1824-1891), frappé par l’impact de l’humanité sur son environnement, proposait dans son cours de géologie d’introduire une nouvelle ère qu’il nomma Anthropozoïque – par analogie avec les noms des trois ères géologiques déjà définies en 1840 et couvrant, d’après les datations de 2023, les 538 derniers millions d’années de l’histoire de la Terre : Paléo- (ancien), Méso- (médian) et Céno- (récent) -zoïque (animal, en référence à la présence de fossiles dans les roches). Rappelons que, dans l’échelle des temps géologiques, chaque ère est divisée en périodes, elles-mêmes découpées en époques d’une durée de quelques millions à quelques dizaines de millions d’années. Dernière période du Cénozoïque, le Quaternaire est caractérisé entre autres par la radiation évolutive du genre Homo en Europe et en Asie. La dernière époque du Quaternaire, celle dans laquelle nous vivons, est l’Holocène (holo- : « entier » ; -cène : « récent, nouveau ») qui a débuté il y a 11 700 ans.
En 1922, le géologue russe Alexeï Petrovitch Pavlov (1854-1929) reprend à son compte les idées de Stoppani et nomme Anthropocène ce qu’il considère comme une nouvelle époque, plutôt que comme une nouvelle ère. De nombreuses études ont montré, tout au long du xxe siècle, l’impact des activités humaines sur les systèmes environnementaux. Pourtant, ce n’est que dans les années 1980 que le terme est repris par le biologiste américain Eugene F. Stoermer (1934-2012), qui signera, en 2000, avec Paul J. Crutzen (1933-2021), météorologue et chimiste de l’atmosphère néerlandais, Prix Nobel de chimie (1995), un article intitulé « The “Anthropocene” ». Crutzen et Stoermer estiment que l’impact des activités humaines est tel que nous avons quitté les conditions naturelles stables de l’Holocène pour entrer dans un nouvel intervalle de temps, auquel ils attribuent, dans l’échelle des temps géologiques, le statut élevé d’époque, équivalent à celui de l’Holocène, d’où le nom choisi : Anthropocène.
Ce ne sont donc pas des géologues, mais un biologiste et un chimiste qui ont répandu l’idée d’une nouvelle époque caractérisée par la pression qu’exercent les êtres humains sur l’écosystème terrestre. Les chercheurs de nombreux domaines (de l’écologie aux sciences humaines et sociales, voire politiques), les médias[...]
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Écrit par
- Françoise DREYER : agrégée de l'université, historienne des sciences, chercheuse associée au Centre François Viète, université de Nantes
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