ANTHROPOCÈNE
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Des contours flous
Peut-on définir une époque géologique a priori, sans savoir ce qu’il adviendra, alors que toutes les autres époques l’ont été a posteriori ? Une époque est déterminée par sa limite inférieure et se déroule au-delà. Elle est donc représentée par une ou des strates conséquentes dans une coupe stratigraphique. Mais, pour l’Anthropocène, sa limite inférieure serait « maintenant ». Nous ne savons rien de l’avenir. Comment pourrions-nous alors présumer de la durée d’un épisode géologique dont nous faisons partie ? Nous n’avons comme recul que la durée d’une vie humaine ou deux.
Crutzen et Stoermer supposaient que l’humanité resterait un « élément perturbateur de l’environnement » majeur pour des milliers, voire des millions d’années – actuellement, vu la rapidité d’épuisement des ressources et les dégâts déjà causés, on retient plutôt une dizaine de milliers d’années. La durée de présence de l’humanité sur Terre sera-t-elle alors assez longue pour laisser une empreinte fossile suffisante pour en faire une époque géologique comparable aux autres époques du Quaternaire ? La dégradation des produits anthropiques et les taux de sédimentation sont tels que l’enregistrement de l’Anthropocène dans les sédiments ne sera ni assez marqué ni assez représentatif à l’échelle mondiale pour constituer dans une série stratigraphique davantage qu’un trait infime. Cet épisode, alors très bref entre deux époques géologiques, serait similaire aux grands événements transformateurs de l’histoire de la Terre comme la « grande oxygénation » (ou GOE pour great oxygenation event), il y a 2,4 milliards d’années. Cette crise écologique majeure, liée à la production d’oxygène par les premiers organismes photosynthétiques dans les océans puis dans l’air, a modifié totalement les conditions de vie et provoqué la mort des innombrables êtres vivants pour lesquels l’oxygène était toxique. L’Anthropocène serait un événement de cet ordre plutôt qu’une unité stratigraphique. Il pourrait être appelé « accident anthropique » ou « crise anthropogénique » ou même « anthropoproblème ».
L’Anthropocène est donc une entité mouvante à la limite floue et à la durée imprécise.
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Écrit par
- Françoise DREYER : agrégée de l'université, historienne des sciences, chercheuse associée au Centre François Viète, université de Nantes
Médias
Échelle stratigraphique internationale du Cénozoïque
Encyclopædia Universalis France
Lac Crawford, Milton (Ontario, Canada)
Bonnie Jo Mount/ The Washington Post/ Getty Images
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