ANTHROPOCÈNE
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Les difficultés de l’AWG
Malgré de nombreux et très importants travaux, l’AWG peine à trouver des marqueurs répondant aux critères de l’ICS et à proposer une limite possible. Plusieurs sites sont étudiés mais aucun ne peut correspondre à un stratotype de limite. Le consensus ne se fait pas et les débats perdurent beaucoup plus que d’habitude pour l’étude d’une proposition. En 2018, l’ICS met l’AWG en demeure de faire une proposition qui puisse être soumise au vote, mais au vote des seuls géologues. L’AWG demande un délai supplémentaire pour mettre un point final au site qu’ils ont finalement sélectionné comme stratotype possible de limite. Et ce n’est que cinq ans plus tard, fin octobre 2023, après quinze ans de travaux, que l’AWG remet enfin son rapport. Il propose que l’Anthropocène soit une nouvelle unité chronostratigraphique avec un statut de série/époque, qu’il débute non pas au milieu du xviiie siècle, mais plutôt au xxe siècle (vers 1950, au moment de la « grande accélération » c'est-à-dire lorsque la progression des effets de l'activité humaine sur l'environnement, lente depuis 1750, devient exponentielle) et qu’il soit déterminé par un GSSP. Un site est proposé, le lac Crawford, au Canada, où 15 centimètres de boue ont enregistré l’augmentation mondiale de la consommation de combustibles fossiles et de l’utilisation d’engrais, et les retombées atomiques signées par un pic de plutonium.
Le 6 mars 2024 – coup de tonnerre… –, la sous-commission à la stratigraphie du Quaternaire de l’ICS rejette par douze voix contre quatre, la proposition de l’AWG d’inscrire l’Anthropocène comme une nouvelle subdivision de l’échelle des temps géologiques, rejet entériné le 20 mars 2024 par l’IUGS. Cette dernière justifie son refus en soulignant que les arguments proposés par l’AWG n’étaient pas suffisamment convaincants et estime que les doutes se traduisent clairement dans les résultats du vote. Ce coup d’arrêt dans le processus de validation n’a pourtant pas mis d’accord tous les géologues, notamment certains membres de l’AWG, qui devront attendre dix ans avant de pouvoir introduire une nouvelle procédure. Cependant, les travaux de l’AWG ont permis de rassembler un corpus considérable de données concernant l’influence des activités humaines sur les systèmes environnementaux mondiaux.
L’Anthropocène n’est donc pas une nouvelle époque géologique faisant suite à l’Holocène comme l’affirmaient Crutzen et Stoermer. Faute de marqueur précis, mondial et synchrone, sa limite inférieure n’a pu être établie. La rigueur scientifique et les longues durées géologiques se heurtent à la pression et à l’immédiateté écologiques et médiatiques. Même s’il n’est pas retenu pour une nouvelle division des temps géologiques, les géologues n’en reconnaissent pas moins les effets et les marques des activités humaines dans les sédiments. L’Anthropocène pourrait, selon l’IUGS, être considéré comme un terme informel non stratigraphique. Devenu concept philosophique et médiatique, il est et restera opérationnel dans les sciences de la Terre et de l’environnement, dans les sciences humaines et sociales, pour les politiques et les économistes, comme pour le public, caractérisant la période où les effets de l’humanité sur l’environnement se font sentir. Ancré dans le récit collectif, le terme a donc encore de beaux jours devant lui. D’ailleurs, certains vont d’ores et déjà plus loin, réflexe anthropocentriste s’il en est, et parlent à nouveau d’Anthropozoïque, ou « ère de l’Homme », concept philosophique qui tend à se propager.
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Écrit par
- Françoise DREYER : agrégée de l'université, historienne des sciences, chercheuse associée au Centre François Viète, université de Nantes
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