ANTHROPOLOGIE
La relative jeunesse d'une discipline qui ne se comprend qu'au travers des conditions de son avènement, de ses hésitations, de ses multiples cheminements rend malaisé de définir en quelques lignes l'anthropologie, son objet, ses méthodes et son histoire. Par ailleurs, le succès que connaît cette science – et que marque à l'évidence la dimension anthropologique dont sont affectées toute recherche actuelle dans les sciences humaines, toute réflexion sur les phénomènes sociaux, historiques, éducatifs, voire touristiques – entretient un rapport paradoxal avec le désarroi qu'elle éprouve devant la difficulté à définir son objet, à fixer ses limites. Il est d'usage d'opposer ses deux approches principales, l'anthropologie physique et l'ethnologie, l'une préoccupée de l' homme dans ses caractères physiques, l'autre de l'homme en société. Mais l'ambition de l'anthropologie, prise au sens le plus large, serait de rassembler dans une perspective globalisante toutes les disciplines étudiant l'homme. En attendant une telle réunification, on ne peut confondre, malgré leurs zones de recouvrement, cette anthropologie avec son actuel épicentre, l'anthropologie sociale.
L'objet de l'anthropologie sociale, née de l'étude des sociétés dites primitives, a grandi au point de s'étendre à l'ensemble des sociétés traditionnelles, y compris celles du monde industriel ; et l'étude de la vie contemporaine dans la ville ou dans l'entreprise constitue l'un de ses nouveaux axes de recherche. De ce point de vue, elle ne se distingue guère de sciences de la société telles que la sociologie ; certains veulent même la confondre avec elles en raison de l'identité de leur objet. Or ce qui fonde la spécificité de l'anthropologie, c'est une façon particulière d'appréhender une même réalité. Son approche « holiste », qui cherche à saisir la totalité d'une société, est donc par définition monographique ; elle contraint l'anthropologue à une analyse qualitative et exhaustive d'unités sociales nécessairement restreintes – village, tribu ou quartier –, accessibles au regard d'un seul et même observateur. Ce serait donc sa méthode qui la distinguerait de sa voisine, la sociologie. L'une procéderait plutôt par questionnaires et statistiques ; dans l'autre, l'observateur, « immergé » dans la société qu'il étudie, travaillerait sur son propre vécu. Toutefois, l'une et l'autre s'empruntent de plus en plus souvent leurs méthodes. Le paradoxe de la démarche anthropologique réside donc, comme le souligne Claude Lévi-Strauss, dans le fait que l'on y « cherche à faire de la subjectivité la plus intime un moyen de démonstration objective ».
L'expérience ethnologique est unique, en ce qu'elle oblige l'observateur à mettre en question ses propres catégories, à s'ouvrir au raisonnement des autres, à les analyser et à les restituer à la compréhension de sa propre société. Par son approche monographique et par cette remise en question, à quoi elle tend et à laquelle elle contraint le spécialiste, l'anthropologie a élaboré de nouveaux concepts, qui ont défini ses divers domaines : religieux, politique, juridique, économique, etc. Mais la critique de l' ethnocentrisme dont sont marquées ces catégories issues de la culture occidentale a conduit à les élargir, à les remodeler. Parfois, il a été nécessaire de fonder de nouveaux domaines tels que l'anthropologie de la parenté, qui a constitué longtemps l'un des champs privilégiés de la discipline.
Il est douteux, toutefois, que l'on puisse définir une science uniquement par sa méthode ; c'est le cas tout particulièrement de l'anthropologie, dans un moment où la sienne est[...]
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Écrit par
- Élisabeth COPET-ROUGIER : chargée de recherche au C.N.R.S.
- Christian GHASARIAN : ethnologue, professeur à l'université de Neuchâtel
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