ANTHROPOLOGIE COGNITIVE
L’objet de l’anthropologie cognitive est de documenter et de mieux comprendre ce que la culture fait à la cognition. Depuis ses premiers tâtonnements au milieu du xxe siècle jusqu’à ses développements les plus contemporains, cette sous-discipline de l’anthropologie occupe une position ambiguë. Son intérêt pour la cognition la rapproche de la psychologie, à laquelle elle est parfois assimilée, tandis que sa situation au sein des sciences sociales et/ou des sciences cognitives fait toujours débat. Mais, plus significativement, l’anthropologie cognitive se démarque des approches interprétatives en anthropologie par son ambition de rendre compte scientifiquement (explications causales) de l’influence réciproque entre la diversité culturelle et ses structures cognitives sous-jacentes.
À ce jour, l’anthropologie cognitive ne renvoie pas à un cadre théorique homogène. Il est toutefois possible d’en décrire la trajectoire historique ainsi que les principaux concepts.
Quelques repères historiques
Roy D’Andrade (1995) distingue quatre grandes périodes dans la constitution de l’anthropologie cognitive. La première prend place à cheval sur les années 1950 et 1960. On assiste alors au « tournant cognitif » en psychologie avec le passage du béhaviorisme – un courant de la psychologie qui juge impossible l’accès aux états mentaux, et par conséquent leur explication scientifique, et qui prône l’étude exclusive des comportements ‒ à une science de l’activité psychique. C’est également une période de transformations importantes en linguistique, notamment avec la parution du livreSyntactic Structures de Noam Chomsky (1957), dans lequel il affirme que les propriétés de surface du langage sont générées par des structures cognitives « profondes », c’est-à-dire potentiellement innées. En anthropologie, principalement en Grande-Bretagne, ces bouleversements épistémologiques vont donner lieu à un déplacement des centres d’intérêt. Depuis les études pionnières de Bronislaw Malinowski et Alfred Radcliffe-Brown, les anthropologues s’intéressaient aux « systèmes naturels », c’est-à-dire aux institutions et à leur impact sur les comportements. Avec le « tournant cognitif », leur intérêt privilégie l’étude des systèmes de pensée ou systèmes symboliques, avec pour résultat le développement des ethnosciences et de l’anthropologie linguistique.
La seconde période, qui s’étend jusqu’aux années 1970, correspond à une phase de maturation méthodologique de l’anthropologie cognitive. Le temps est alors à la quantification et à la formalisation. L’approche structurale en linguistique s’est ainsi vue appliquée à des matériaux culturels tels que les systèmes de parenté ou encore l’ethnobotanique et l’ethnozoologie. Ce fut la période faste des analyses sémantiques qui, selon l’expression de Roy D’Andrade, « entrouvraient une porte vers l’esprit » (1995). Les critiques à l’encontre de l’anthropologie cognitive ne furent jamais aussi virulentes qu’à cette époque. Les années 1970 et 1980 passent aujourd’hui pour les années glorieuses de l’anthropologie postmoderne, avec à sa tête Clifford Geertz, un des opposants les plus farouches à l’anthropologie cognitive. Réticent à toute forme de formalisme méthodologique en anthropologie, Geertz (1973) plaidait pour une division bien marquée du travail académique : l’étude des phénomènes mentaux revenait exclusivement aux psychologues, tandis que les anthropologues étudiaient leur dimension publique. Ce débat, bien que plus modéré et nuancé, reste d’actualité au sein de l’anthropologie.
La troisième période de l’anthropologie cognitive débute dans la courant des années 1970 et se poursuit jusqu’au début des années 1990. Elle est marquée par d’importantes avancées conceptuelles en psychologie, principalement la théorie des « prototypes[...]
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Écrit par
- Arnaud HALLOY : maître de conférences en ethnologie
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