ANTHROPOLOGIE DE LA COMMUNICATION
Comment ethnographier les pratiques de communication
L’un des principaux concepts de l’anthropologie de la communication est celui de compétence de communication. Contrairement à la notion de compétence linguistique au centre des approches formelles du langage, celle-ci ne porte pas sur la seule maîtrise des règles grammaticales, mais plus largement sur les normes socioculturelles qui régissent les usages de la langue. Il s’agit de savoir parler correctement, mais également de pouvoir déterminer quand parler, de quoi, avec qui et de quelle manière. De manière corrélative, l’anthropologie de la communication ne s’intéresse pas à une communauté linguistique abstraite, mais à ce que l’on appelle à la suite de Gumperz une communauté langagière (speech community). On entend par là tout groupe de personnes qui partagent une même langue, mais aussi les mêmes façons de parler et un même ensemble de normes à propos des usages du langage. On étudiera alors par exemple les façons de parler propres à un groupe social donné (ce qu’on appelle des sociolectes), à l’image du travail pionnier de Labov sur le parler noir américain.
Seule l’enquête de terrain permet d’identifier et de décrire une communauté langagière et d’en cerner les contours. Cela exige d’adopter un principe de relativisme méthodologique concernant les critères d’inclusion ou d’exclusion au groupe. Si, dans une société, certaines espèces animales ou les esprits des ancêtres sont considérés comme des interlocuteurs légitimes, alors il faut les compter parmi les membres de cette communauté langagière. Dans cette perspective, les anthropologues se sont employés à étudier les moyens (tant linguistiques qu’extralinguistiques) par lesquels, dans un contexte rituel notamment, les participants sont amenés à prêter une voix à une entité invisible ou non humaine ou à un artefact chargé d’incarner sa présence (tels un masque, une statue ou un instrument de musique).
L’anthropologie de la communication a élaboré un ensemble de concepts et de méthodes pour définir le plus précisément possible les façons de parler à l’intérieur d’une communauté langagière donnée. Selon Hymes, l’unité d’analyse la plus pertinente est ce qu’il appelle l’événement de communication (communicativeeventouspeechevent). Il entend par là toute séquence d’activité où le langage (ou plus largement la communication) joue un rôle constitutif et non pas seulement accessoire. Cela peut être une prière religieuse, une plaidoirie judiciaire, une conférence savante, une joute verbale ou encore des brèves de comptoir. Hymes a proposé un modèle pour guider l’analyse des événements de communication en les décomposant en une série de paramètres socialement pertinents. Il lui a donné un nom en forme d’acronyme : SPEAKING. Pour illustrer la présentation de ce modèle, nous nous appuierons sur un bref exemple (tiré de The Ethnography of Communication. An introduction de Muriel Saville-Troike, 1982) : une assemblée villageoise chez les Bambara du Mali.
S comme Situation : quand et où l’événement peut-il avoir lieu ? Une assemblée coutumière se tient généralement en journée sur la place publique du village, sous l’arbre à palabres, car il s’agit d’un événement qui intéresse toute la communauté.
P comme Participants : qui peut participer à l’événement ? Pour répondre à cette question, il convient d’enrichir le modèle dyadique de l’émetteur et du récepteur pour envisager, à la suite de Goffman, l’ensemble des statuts et des rôles que les participants peuvent assumer au cours de l’événement. Du côté de l’émetteur, le locuteur (celui qui parle) peut différer de l’énonciateur (celui au nom de qui on parle). Du côté du récepteur, le destinataire principal se distingue du public, ce dernier pouvant inclure des personnes à portée de voix, mais auxquelles[...]
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Écrit par
- Julien BONHOMME : maître de conférences en anthropologie à l'Ecole normale supérieure de Paris
Classification
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