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ANTHROPOLOGIE DE LA COMMUNICATION

L’indexicalité sociale du langage

L’anthropologie de la communication ne porte pas seulement sur les échanges verbaux en face à face, mais s’occupe de toute espèce de communication, quels que soient la nature des messages et les canaux qu’ils empruntent. Même le silence constitue une forme de communication, puisque le fait de s’abstenir de parler est une situation significative pour les participants. Keith Basso a par exemple étudié les situations dans lesquelles les Apaches d’Arizona jugent socialement approprié de rester silencieux : lorsque des étrangers se rencontrent pour la première fois (leur silence pouvant durer plusieurs jours), lorsque des jeunes gens cherchent à se séduire, lorsqu’on se fait injurier par une personne énervée, lorsqu’on est avec une personne triste. Cela correspond à chaque fois à des situations où les personnes en présence considèrent leur relation comme trop ambiguë ou incertaine pour engager la conversation. Le silence a ainsi valeur d’indice relationnel pour les participants.

Cette dimension indexicale du langage représente l’un des principaux objets d’étude de l’anthropologie de la communication. Au-delà de ses fonctions référentielles, l’échange verbal est lié à la relation sociale entre les participants et indique quelque chose à son sujet. Cela peut se faire par des moyens linguistiques ou extralinguistiques : l’alternative entre le tutoiement et le vouvoiement en français exprime l’intimité ou le respect ; l’évitement du regard ou le fait de s’incliner ou de se lever pour saluer quelqu’un est une autre façon de lui témoigner le respect dû à son statut. La nature indexicale du langage témoigne du fait qu’il s’agit d’une activité irréductiblement sociale. Les travaux sur l’indexicalité sociale portent par exemple sur les questions de statut (comme on l’a vu à propos des salutations cérémonielles à Samoa) ou encore sur l’articulation entre genre et langage.

Le genre est en effet une construction sociale qui passe notamment par le langage. Chez les Tzeltal, un groupe maya du Chiapas (Mexique), les femmes ont par exemple tendance à éviter le désaccord frontal. Cela se traduit par l’usage de répétitions conversationnelles : la locutrice répète une partie du dernier énoncé de son interlocuteur en y ajoutant une intonation marquant l’intérêt, l’assentiment ou la surprise. Certes, les hommes font également usage de ce procédé, mais dans une bien moindre mesure. La répétition conversationnelle est par conséquent un marqueur du genre, lui-même associé à des normes de comportement. Cette distinction entre façons de parler masculines et féminines est souvent tributaire d’une hiérarchie implicite ou explicite, la domination masculine étant aussi une domination linguistique. Ce fait renvoie à la notion d’idéologie langagière : ce concept désigne la façon dont les membres d’un groupe se représentent et justifient les normes concernant le bon usage du langage. Ainsi, dans nombre de sociétés (mais pas toutes), la discrétion est perçue comme une valeur typiquement féminine, incitant les femmes à la retenue dans leurs prises de parole, notamment en présence de locuteurs masculins. À l’inverse, une femme trop bavarde fera l’objet d’une vive désapprobation morale et sera accusée d’être une « commère ».

Dans un registre similaire, Elinor Ochs et Carolyn Taylor ont mis en lumière l’idéologie langagière qui sous-tend les discussions familiales à table au sein de la classe moyenne américaine à la fin des années 1980. Ces conversations représentent l’une des principales occasions au cours desquelles les enfants font l’apprentissage des identités de genre au sein de la famille. Les discussions à table révèlent une asymétrie de genre que Ochs et Taylor appellent « c’est papa qui sait » (en reprenant le nom d’une série télévisée américaine des années 1950) :[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en anthropologie à l'Ecole normale supérieure de Paris

Classification

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE VISUELLE

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