ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES
Résistances culturelles et politiques de significations : les cultural studies
La recherche sur les cultures urbaines a pris une nouvelle inflexion dans le champ des cultural studies en Angleterre. Le Centre for Contemporary Cultural Studies, créé en 1964 à Birmingham par Richard Hoggart, est devenu l’épicentre d’une redéfinition générale du concept de culture et de ses enjeux idéologiques. Partant d’une conception relativiste et anthropologique de la culture comme mode de vie et d’un refus du légitimisme ‒ consistant à appréhender les cultures populaires par défaut, comme des formes hétéronomes et dominées ‒, les chercheurs de ce laboratoire se sont intéressés à des objets jusqu’alors peu légitimes tels que la réception des émissions de télévision, la symbolique des modes vestimentaires, les « cultures jeunes », etc. Ils ont fait le pari d’un transfert des méthodes de la critique textuelle et littéraire des œuvres classiques vers des produits de la culture populaire et de la culture de masse et d’une appropriation des méthodes de l’ethnographie pour étudier l’ordinaire des classes populaires. La conception de la culture de Stuart Hall comme espace symbolique d’affrontement entre des visions de classe, de race et de genre ayant une visée hégémonique et des pratiques symboliques de résistances et de négociations minoritaires, a fortement influencé ce courant. Parmi le foisonnement des recherches qui se sont développées dans ce cadre, les enquêtes réalisées à partir des années 1970 sur les subcultures (sous-cultures) jeunes constituent un tournant dans l’analyse des cultures urbaines. Les chercheurs britanniques ont montré que leur émergence était liée à la crise de reproduction du milieu ouvrier. Leur foisonnement exprimait simultanément une rupture dans la socialisation ouvrière et une tentative de résolution au niveau de l’imaginaire d’un ensemble de contradictions sociales (Stanley Cohen, 1972). Ces « résistances symboliques » (Stuart Hall et al., 1976) constituaient une manière de perpétuer des valeurs ouvrières par l’invention d’un nouveau style de vie (rockers ou skinheads) ou de les mettre à distance par l’affirmation d’une esthétique opposée (mods). Ils ont montré que ces subcultures se développaient simultanément en relation à la culture des parents et à d’autres cultures jeunes, ainsi que dans un rapport d’opposition aux cultures dominantes. Dick Hebdige, dont les travaux (1979) sont considérés comme fondateurs des cultural studies, analyse ainsi le mouvement punk comme une contre-culture de résistance sociale par le signe, mais également comme une réaction en miroir à d’autres sous-cultures telles que le glam rock et le reggae. Il montre que le punk a été directement et indirectement influencé, comme toutes les sous-cultures jeunes qui se sont succédé depuis les années 1960 en Angleterre, par les formes culturelles importées par les migrants caribéens et réinventées en contexte londonien. Ces sous-cultures ont ensuite été progressivement redéfinies par deux processus de « récupération ». Le premier consiste en une transformation de leurs signes en objets de consommation standardisés et conduit à une banalisation de leur dimension subversive. Le second, qualifié d’« idéologique », se traduit par une stigmatisation et un étiquetage de leurs membres comme déviants. Chaque sous-culture évolue ainsi dans un cycle de résistance et d’assimilation. L’analyse sémiotique des styles proposée par Hebdige a fortement influencé les recherches ultérieures. « Le sens du style sous-culturel, c’est […] de communiquer une différence et d’exprimer une identité collective », affirmait-il. Autrement dit, une sous-culture est un système de communication. Dans cette perspective, vêtements (fripe, bas résille, imper, etc.) et objets (épingle à nourrice,[...]
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Écrit par
- Virginie MILLIOT : maître de conférences en anthropologie, université de Paris-Nanterre
Classification
Médias