ANTHROPOLOGIE DES CULTURES URBAINES
Le devenir paradoxal du concept de sous-culture
Les chercheurs issus des différentes traditions que nous avons présentées considèrent que le concept de « sous-culture » n’est plus pertinent pour décrire les cultures juvéniles, c’est pourquoi ils lui en ont substitué d’autres. Le concept de « mondes » sociaux et artistiques (Howard Becker, 1988) comme milieux d’expérience et d’activité collective, de perspectives stabilisées dans un environnement commun, a constitué pour les chercheurs issus de la tradition de l’école de Chicago un levier théorique heuristique pour repenser les dynamiques culturelles à l’horizon d’une écologie des publics (Daniel Cefaï, 2015). Les auteurs issus de la tradition des cultural studies lui ont substitué, comme le note David Hesmondhalgh, (2005), la notion de « tribu » ou de « scène ». Les mouvements musicaux observés dans les années 1990 et 2000 apparaissent à la fois plus hétérogènes socialement, moins cohérents formellement, plus fluides et plus mouvants. Pour les appréhender dans leur spécificité, le Canadien Will Straw (1991) a proposé le concept de « scène » qui ouvre sur une approche empirique et matérielle des lieux, de la diversité des publics réunis autour de la musique et des réseaux de diffusion de cette dernière. Le concept a aujourd’hui supplanté celui de subculture et nourrit une variété d’approches des mouvements musicaux et de la ville « créative » (Gérôme Guibert et Guy Bellavance, 2014).
Critiqué et globalement délaissé par les chercheurs qui étudient les mouvements artistiques urbains, le concept de sous-culture est pourtant utilisé dans le cadre de théories plus générales pour penser la fragmentation de nos sociétés et les tensions entre individualisation et mobilisation collective. Il fertilise les recherches anthropologiques sur la mondialisation depuis les années 1990. Ulf Hannerz (1992) a montré qu’il constituait un cadre analytique heuristique pour penser la complexité des dynamiques culturelles contemporaines, parce qu’il permettait d’analyser les interconnections et les circulations en conciliant une approche « horizontale » des formes de vie, de la communication intersubjective, des interactions dans un environnement spécifique et une approche « verticale » des rapports sociaux et des processus de légitimation. Il est intéressant de constater que des concepts initialement élaborés pour penser la spécificité des inventions culturelles urbaines telles que l’identification, la différenciation ou la notion d’identité de style irriguent aujourd’hui l’analyse anthropologique des phénomènes de diaspora et de mondialisation culturelle.
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Écrit par
- Virginie MILLIOT : maître de conférences en anthropologie, université de Paris-Nanterre
Classification
Médias