ANTHROPOLOGIE DES DIASPORAS
La diasporicité saisie par l’anthropologie
Cette extension sémantique du concept de « diaspora » peut avoir pour corollaire une perte de sa capacité à désigner un phénomène précis. Si toutes les identités culturelles sont fluides, « désancrées » d’une localité, mouvantes et en hybridation avec les autres, alors elles peuvent toutes être considérées comme diasporiques, et le terme perd alors de sa valeur heuristique. Comment dans ce cas conserver un minimum d’unité conceptuelle ?
En combinant les critères énumérés par divers auteurs, on peut proposer la définition suivante : une diaspora est le résultat de la dispersion d’une population à partir d’un foyer d’origine, dont les membres entretiennent l’idée du retour au pays et(ou) une identification à distance à l’égard de ce pays réel ou imaginé. Ils forment, dans les destinations d’accueil, un ensemble plus ou moins nettement distinct de la ou les autres composantes de la population, et possèdent la conscience de partager une histoire et une origine commune, et ce, sur plusieurs générations.
Plutôt que de mettre l’accent sur la dimension d’exil ou celle d’ancrage, il faut dès lors reconnaître que c’est la tension même entre ces deux pôles qui constitue le phénomène diasporique, et conserver à l’esprit que ce rapport est susceptible de se modifier en faveur de l’une ou de l’autre selon les conjonctures. L’anthropologie des diasporas accorde ainsi une attention particulière aux transmissions intergénérationnelles, ainsi qu’aux variations du rapport aux origines et à l’idée même d’une appartenance diasporique. Celle-ci varie dans le temps, selon les générations, mais aussi durant le cycle de vie des individus, en fonction de contraintes ou d’incitations émanant des États d’accueil et d’origine, qui influent sur la possibilité même d’entretenir une telle appartenance. Ainsi, la politique de réouverture de la Chine aux capitaux, lancée à la fin des années 1970, a-t-elle reposé sur un encouragement actif des visites et des donations de la part de parents appartenant à la diaspora. Ce revirement, après trois décennies de fermeture du pays, voire de rupture délibérée avec ceux que les autorités condamnaient en tant que « capitalistes d’outre-mer », a pu parfois réactiver le sentiment d’appartenance à une diaspora chinoise, sans pour autant réinsuffler des projets de retour abandonnés depuis longtemps par la plupart des primomigrants – et jamais nourris par les descendants d’émigrés autrement que sous la forme de visites temporaires.
La notion de diaspora a été vivement débattue lorsqu’il s’est agi de l’appliquer, entre autres, au cas chinois, pour les risques d’essentialisation qu’elle comporte. C’est un problème que posent de manière évidente les approches statistiques qui dénombrent les diasporas sur la base de critères ethniques ou racialistes, lorsqu’elles y incluent des personnes qui ne s’en réclament pas nécessairement. Les anthropologues prêtent ainsi une attention particulière à la présence ou à l’absence de revendications concernant l’appartenance à une diaspora.
La diasporicité, l’être en diaspora, n’est toutefois pas seulement une affaire discursive. Elle se pratique à travers la transmission d’une mémoire concernant le pays d’origine et l’histoire de l’émigration ou encore par les visites au pays d’origine ou les rassemblements entre différentes communautés de la diaspora. C’est bien souvent à la communauté villageoise d’origine que les personnes qui se trouvent en diaspora se sentent appartenir, avant toute autre affiliation. Cependant, lorsque les liens se sont distendus, qu’il n’y a plus de famille proche à laquelle rendre visite, les voyages « au pays » peuvent prendre l’allure de séjours touristiques à des fins de découverte et de familiarisation – sans qu’il faille y[...]
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Écrit par
- Anne-Christine TRÉMON : maître d'enseignement et de recherche, université de Lausanne, Suisse
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