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ANTHROPOLOGIE DES SCIENCES

L’anthropologie des sciences constitue, au sein de l’anthropologie sociale, le champ d’étude relatif aux faits de savoir, notamment naturels (botanique et zoologie au premier chef). Elle peut être saisie au sein d’une double généalogie : celle des ethnosciences d’une part ; celle de la sociologie des sciences – ou social studies ofscience – d’autre part. En tant que telle, elle hérite donc d’une histoire compliquée et entremêlée qui devrait comprendre toute celle de l’ethnologie évolutionniste, fonctionnaliste, structuraliste, et toute celle de la philosophie des sciences ou de l’épistémologie. Héritière de longs pans d’histoire de la pensée, en prise avec la marche du monde global et technicisé, elle s’épanouit, depuis le début des années 2000, au sein des départements de recherche et d’enseignement.

Le « grand partage »

L’anthropologie s’est fondée sur l’idée qu’il existait des cultures qui prenaient place sur le fond permanent et universel de la nature. La dichotomie entre la nature et les cultures investit donc la pensée anthropologique depuis ses débuts. Héritée d’une philosophie qui concevait en substance les formes sociales comme déterminéespar le milieu naturel (L’Esprit des lois de Montesquieu, ou bien leContrat social de Rousseau), elle servit longtemps à classer les sociétés en fonction de leur proximité plus ou moins grande avec la nature, contribuant à façonner ce qu’on désigne aujourd’hui sous l’expression « grand partage » : une ligne de démarcation radicale qui opposerait la nature et la culture, mais aussi les sociétés simples et les sociétés complexes, la science et les croyances, ou encore l’esprit rationnel et la magie. À l’approche déterministe succéda davantage, au xxe siècle, une approche moins réductionniste, qui envisageait les conditions physiques, climatiques et biologiques comme des contraintes avec lesquelles les sociétés apprenaient, chacune à sa manière, à composer.

C’est après la Seconde Guerre mondiale surtout que se mettent en place de nouvelles grilles de lecture qui vont permettre d’envisager les rapports de l’homme à son milieu en dépassant les explications causales. Sortant du schéma simpliste selon lequel la nature déterminerait les cultures, André Leroi-Gourhan (1911-1986) va appréhender leurs relations en centrant son attention sur les techniques(Milieu et Techniques, 1945 ou Le Geste et la Parole, 1964-1965). Formé à l’étude des collections au musée de l’Homme, Leroi-Gourhan entend par « techniques » tout ce par quoi l’homme interagit avec son milieu, tout ce par quoi il transforme ce qui lui est donné. Il conçoit l’homme à la manière d’un organisme composé d’un « milieu intérieur » (comparable à la cellule) et d’une « enveloppe technique » ou « technosphère », et propose d’étudier les « chaînes opératoires » par lesquelles la matière est transformée en produit fini. Dans cette perspective, les savoirs techniques sont autant de manières d’agir et d’entrer en relation avec l’environnement. En comparant les choix technologiques opérés par les différentes sociétés, il met en lumière la diversité et la complexité des modes relationnels qui existent entre l’homme et son environnement. Son exact contemporain, André-Georges Haudricourt (1911-1996), agronome, ethnologue et linguiste, mettra en corrélation « la domestication des animaux, la culture des plantes et le traitement d’autrui » (1962). Par un renversement de perspective, il montre que le comportement des hommes envers les plantes et les animaux est « modelé » sur les relations sociales qu’ils entretiennent avec les autres hommes. Haudricourt défend l’idée que la diversité du monde animal et végétal, la répartition de la faune et de la flore sur la planète, ne peuvent rendre compte à elles seules des usages locaux, des manières de « faire[...]

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Écrit par

  • : directrice de recherche au Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative, CNRS UMR7186/Université Paris Nanterre

Classification

Média

Bruno Latour - crédits : Joël Saget/ AFP

Bruno Latour

Autres références

  • HUMAINS ET NON-HUMAINS (anthropologie)

    • Écrit par
    • 2 238 mots

    Philippe Descola a défini l’anthropologie comme l’étude des relations entre humains et non-humains dans des sociétés où celles-ci ne s’appuient pas sur l’opposition entre nature et culture qui a structuré les sciences européennes (2005). Ainsi, dans les sociétés amazoniennes, les animaux et les ...