ANTHROPOLOGIE DES ZOONOSES
Les définitions changeantes des zoonoses
Le terme « zoonose » est créé en 1855 par le médecin allemand Rudolf Virchowà partir des racines grecques zoon (animal) et nosos (maladie). Il définit la transmission de pathogènes des animaux vertébrés non humains aux humains, ce qui exclut les maladies à vecteurs (moustiques, poux) comme le paludisme ou le typhus. Il suppose en effet un réservoir animal dont les symptômes sont perçus comme annonciateurs de maladies humaines, ce qui inclut la peste transmissible des rats aux humains par l’intermédiaires des puces. Il n’est cependant appliqué à la compréhension des mécanismes pathologiques que dans les années 1930 lorsque se développe l’écologie des maladies infectieuses à travers les recherches de Karl Friedrich Meyer, Theobald Smith et Frank Macfarlane Burnet, qui seront systématisées dans les années 1960 par Carl Schwabe. Dans une conférence de 1931, Meyer formule pour la première fois la nécessité d’étudier les pathogènes dans leurs « réservoirs animaux » pour comprendre les « infections latentes » dont les animaux peuvent être « porteurs sains ». Les zoonoses les plus étudiées sont alors la tuberculose, la brucellose, la psittacose et la peste. Le développement asymptomatique de microbes dans une espèce étant décrit comme une relation parasitaire avec leur hôte, il reste à expliquer les conditions dans lesquelles ces microbes deviennent pathogènes pour l’homme. Le modèle privilégié est celui du foyer naturel dans lequel la maladie se développe de façon équilibrée entre animaux porteurs avant de se transmettre de façon accidentelle à l’homme. Dans le cas de la peste étudié par Meyer en Californie dans les années 1930, on peut distinguer trois phases : l’enzootie, au cours de laquelle la bactérie se diffuse de façon parasitique chez les rats à travers une forme d’équilibre entre le parasite et l’hôte ; l’épizootie, qui se manifeste par des foyers infectieux supposés réguler la population de rats ; et la zoonose, lorsque des humains entrent en contact avec les puces des rats du fait de l’expansion démographique de ces animaux. Alors que la relation entre les deux premières phases est régulière et circulaire – on pourrait dire « cybernétique » puisqu’elle favorise selon Meyer l’autorégulation du nombre de rats sur le territoire –, la troisième est accidentelle et linéaire, puisqu’elle passe d’une espèce à une autre. De même, dans le cas de la psittacose étudiée par Burnet en Australie dans les années 1930, la concentration des perroquets dans des cages en vue de l’exportation était conçue comme favorisant le caractère pathogène du virus, puisque celui-ci coexiste normalement avec son hôte. L’écologie des maladies infectieuses développée par Burnet dans les années 1960 repose ainsi sur le principe, formulé dans les années 1930, d’écosystèmes stables. Ce concept rassemble les relations parasitaires entre microbes et animaux réservoirs, qui ne sont perturbés que de façon accidentelle, en particulier par l’arrivée de l’homme.
L’exclusivité de ce modèle est remise en question dans les années 1990 sous l’influence du concept d’émergence infectieuse, dont le microbiologiste Joshua Lederberg est un des théoriciens majeurs. Il ne s’agit plus de décrire des relations équilibrées entre des agents infectieux et des hôtes mais de « prendre le point de vue du microbe » pour suivre les niches écologiques qu’il envahit en tendant à maximiser la taille de sa population. Cette conception nouvelle des zoonoses met en son centre l’ontologie des agents pathogènes comme entités informationnelles dont la multiplication atteint une taille suffisante pour qu’apparaissent des mutations lui donnant la capacité de franchir la barrière d’espèce et ainsi d’infecter des espèces animales qui lui étaient auparavant[...]
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Écrit par
- Frédéric KECK : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale
- Christos LYNTERIS : anthropologue, université de St Andrews, Écosse (Royaume-uni)
Classification
Médias