ANTHROPOLOGIE ÉCONOMIQUE
Bilans partiels et problèmes de demain
Économie et institutions générales
Économie et parenté
L'économie marchande capitaliste semble largement indépendante dans son fonctionnement interne des autres structures de la vie sociale, et l'économiste aura tendance à traiter la parenté, la religion, etc., comme des variables « exogènes » et à supposer l'existence d'une rationalité économique « autonome ». Dans les sociétés primitives sans hiérarchie politique (bandes, tribus segmentaires), les rapports de parenté entre individus et entre groupes organisent le procès même de l'économie. Ils déterminent les droits des individus sur le sol et ses produits, leur obligation à recevoir, donner, coopérer. Ils déterminent également l'autorité de certains sur d'autres en matière politique ou religieuse. Ils constituent, enfin, comme le montre Claude Lévi-Strauss, l'« armature sociologique » de la pensée « sauvage ». Donc dans ce type de société les rapports de parenté fonctionnent comme rapports de production, rapports politiques, schème idéologique. En langage marxiste, ils sont à la fois superstructure et infrastructure. Cette plurifonctionnalité de la parenté dans les sociétés primitives explique deux faits sur lesquels l'unanimité s'est faite depuis le xixe siècle (Morgan, Maine) : leur complexité et leur rôle dominant. La correspondance économie-parenté ne se présente donc pas comme un rapport interne sans que les relations économiques entre parents se confondent pour autant avec leurs relations politiques, sexuelles, etc. L'unité des fonctions n'implique pas leur confusion.
L'économie se trouve donc « scellée » (K. Polanyi), encastrée dans des « institutions générales » (Evans-Pritchard), rapports de parenté ou, à un niveau plus complexe d'organisation sociale et d'évolution, rapports politiques entre aristocratie tribale et gens du commun, et ces institutions ne sont pas des variables exogènes mais sont l'économie.
Les formes du travail
À partir de ce fait essentiel s'éclairent les formes de travail, d'échange et de compétition qui caractérisent ces sociétés ou du moins les éléments qui semblent communs à toutes, abstraction faite des différences immenses qui séparent les chasseurs-collecteurs australiens, les pêcheurs de saumon de la Colombie britannique, les tribus équestres des grandes plaines d'Amérique du Nord, les agriculteurs pratiquant la culture sur brûlis des forêts d'Amérique du Sud, du Sud-Est asiatique et de Nouvelle-Guinée et, à un niveau plus complexe d'organisation, les pasteurs nomades de la ceinture sèche des continents d'Asie et d'Afrique, les pêcheurs-agriculteurs des royaumes polynésiens, les agriculteurs de l'ancien empire du Pérou pratiquant l'irrigation et la culture en terrasses, etc.
L'essentiel des tâches productives est accompli et contrôlé par un groupe de parents (qui ne se confond pas nécessairement avec la famille, restreinte ou étendue). Pour des tâches qui dépassent ses capacités, des groupements plus vastes (clan, village, voire tribu) fournissent leur aide. La chasse d'été, lorsque les bisons « noircissaient les plaines », était pratiquée chez les Indiens des plaines par la tribu tout entière, celle d'hiver par de petits groupes de parents. Le groupe produit la plupart de ce qu'il consomme, ce qui ne signifie pas qu'il ne produise rien pour l'échange et vive en autarcie. Le point essentiel est qu'il produit, directement ou indirectement (échange), ce dont il a besoin et que ses besoins et non la recherche du profit gouvernent sa production.
Les outils sont simples et faciles à fabriquer. Le savoir technique est, pour l'essentiel, à la portée de chaque individu dans le cadre de la division sexuelle du travail, s'opposant[...]
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Écrit par
- Maurice GODELIER : directeur d'études de classe exceptionnelle à l'École des hautes études en sciences sociales
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