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ANTHROPOLOGIE POLITIQUE

Les aspects de l'État traditionnel

Les anthropologues politistes ont tenté de caractériser l'État dit traditionnel, et de déterminer les conditions de son émergence. Dans ces deux entreprises, ils ont rencontré des obstacles difficiles à surmonter.

L'État traditionnel ne peut être défini par un type (ou modèle) sociologique qui l'opposerait radicalement à l'État moderne. Dans la mesure où il est un État, il se conforme d'abord aux caractéristiques communes. Organe différencié, spécialisé et permanent de l'action politique et administrative, il requiert un appareil de gouvernement capable d'assurer la sécurité au-dedans et sur les frontières. Il s'applique à un territoire et organise l'espace politique de telle manière que cet aménagement corresponde à la hiérarchie du pouvoir et de l'autorité, et assure l'exécution des décisions fondamentales dans l'ensemble du pays soumis à sa juridiction. Moyen de domination, tenu par une minorité qui a le monopole de la décision politique, il se situe en tant que tel au-dessus de la société dont il doit néanmoins défendre les intérêts communs. En conséquence, l'organisation étatique traditionnelle est un système essentiellement dynamique, exigeant le recours permanent aux stratégies qui maintiennent sa suprématie et celle du groupe qui le contrôle. Les recherches anthropologiques nouvelles imposent de ne plus négliger (ou ignorer) ces aspects : l'État traditionnel permet effectivement à une minorité d'exercer une domination durable ; les luttes pour le pouvoir au sein de cette dernière – auxquelles on réduit souvent la politique propre à ces sociétés – contribuent plus à renforcer la domination exercée qu'à l'affaiblir. À l'occasion de ces compétitions, la « classe politique » se durcit et pousse vers le point maximal le pouvoir qu'elle détient en tant que groupe.

L'État traditionnel possède évidemment des traits distinctifs. Il concède, par nécessité, une large place à l'empirisme ; il se crée, le plus souvent, à partir d'unités politiques préexistantes qu'il ne peut abolir et sur lesquelles sont établies ses propres structures ; il parvient mal à imposer la suprématie du centre politique et conserve un caractère diffus qui le différencie de l'État moderne centralisé ; il reste menacé par la segmentation territoriale. Par ailleurs, le souverain correspond à un modèle bien défini. Il détient le pouvoir en vertu d'attributs personnels (non sur la base de critères extérieurs et formels) et en raison d'un mandat reçu du ciel, des dieux ou des ancêtres royaux, qui lui permet d'agir au nom de la tradition considérée comme inviolable et d'exiger une soumission dont la rupture équivaut à un sacrilège. Le pouvoir et l'autorité sont si fortement personnalisés que l'intérêt public, propre à la fonction, se sépare difficilement de l'intérêt privé de celui qui l'assume, l'appareil gouvernemental et administratif ayant recours à des « dignitaires », à des notables tenus par le jeu des relations de dépendance personnelle, plus qu'à des fonctionnaires. Enfin, la relation au sacré reste toujours apparente, car c'est en s'y référant que l'État traditionnel définit sa légitimité, élabore ses symboles les plus révérés, exprime une part de l'idéologie qui le caractérise.

Le problème de la genèse de l'État est l'un de ceux qui, par les élaborations théoriques qu'ils suscitent périodiquement, jalonnent l'histoire de la discipline. Déjà discuté par les « fondateurs », il continue à orienter certains des travaux récents. Les premières théories – et les plus nombreuses – lient le processus de formation du pouvoir étatique au fait de la conquête, envisagée[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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Geneviève Calame-Griaule - crédits : D.R.

Geneviève Calame-Griaule

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