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ANTHROPOLOGIE RÉFLEXIVE

La réflexivité mise à l'épreuve des nouveaux contextes ethnographiques

Les effets de la globalisation et le renouvellement des approches

Loin de s'expliquer par les seules critiques textuelles et culturelles, l'essor de la réflexivité ces dernières années est largement lié aux transformations d'exercice de l'anthropologie. Dans un monde contemporain d’interdépendance accélérée, marqué par une compression de l’espace et du temps (Abélès, 2008), ce sont en effet les pratiques du terrain et les approches pour appréhender les objets d'étude qui sont de plus en plus interrogées. Les recherches sur les migrations internationales ont de ce point de vue joué un rôle pionnier. Constatant une inadéquation entre les réalités empiriques qu'ils observent et les approches théoriques disponibles, L. Basch, N. Glick Schiller et C. Szanton Blanc (1994) ont ainsi proposé une approche transnationale qui rompt avec le modèle stato-centré de l’intégration et opère un continuum entre les sociétés d’origine et d’accueil. Dans cette perspective, les migrants ne sont plus ici oulà-bas, mais ici etlà-bas, ce qui invite à se focaliser sur les réseaux et à privilégier le rôle des acteurs. De son côté, A. Appadurai insiste sur les effets de la circulation des biens, des images et des personnes sur le travail de l'imagination, ce qui implique de dépasser les lectures en termes de sédentarité et d’identité locale, et de préconiser une approche multisites (Marcus, 1995) soucieuse de croiser les échelles d'analyse afin de rendre compte de l'articulation du local et du global. Dans ce contexte, les monographies circonscrites à un groupe ethnique ont laissé la place à de nouveaux terrains et objets d'études qui invitent à leur tour à réinterroger les méthodes et à penser de nouvelles approches. L'exemple des travaux sur le tourisme ou sur les cybercommunautés illustre la manière dont les chercheurs sont ainsi conduits à questionner les modalités d'observation, tant dans le temps que dans l'espace, d'acteurs à la présence éphémère, voire virtuelle.

Il reste que le « tournant global des sciences sociales » (Caillé et Dufoix, 2013) et l'adaptation aux changements d'échelle ne doivent pas conduire à une dispersion du regard ni à renoncer à investiguer un site en profondeur. Cette investigation est en réalité la condition nécessaire pour saisir les jeux d'échelles et démontrer que le local est multilocalisé, au sens où il renvoie à une pluralité d'acteurs et de normes connectés à d'autres lieux. Le travail de décentrement passe donc aujourd'hui, encore plus qu'hier, par la prise en compte d'une condition globale ou cosmopolite (Agier, 2013) nécessaire pour saisir la circulation de normes, de valeurs et de savoirs partagés qui rendent plus complexe l'appréhension des formes d'altérité. Dans ce contexte général, l'enjeu apparaît dès lors de savoir trouver un équilibre entre le besoin d'une réaffirmation forte des concepts et méthodes qui ont fait leur preuve et l'exigence de renouvellement des approches.

L'anthropologie face aux demandes sociales

Les changements sur les terrains d'étude se manifestent également dans les rapports que l'anthropologue entretient avec ses interlocuteurs qui le questionnent de plus en plus sur la finalité de son travail pour, parfois, en revendiquer un droit de regard. Cela est souvent le cas lorsque l'anthropologue doit négocier sa place auprès de leaders de mouvements sociaux, ethniques ou autochtones qui considèrent avoir le monopole de la parole sur la cause qu'ils défendent. Dans ce type de configuration d'enquête, il est aussi fréquent que ces leaders recherchent en l'anthropologue un relais à leurs actions militantes. Dès lors, comment concilier les objectifs de la recherche avec cette[...]

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Écrit par

  • : professeur en anthropologie à l'université Paris Descartes-Sorbonne-Paris Cité

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