- 1. Les origines d’un regard singulier sur la ville : de Berlin « Großstadt » à Chicago, ville mosaïque
- 2. Un passage fondateur par l’Afrique : des villes minières aux « Brazzavilles noires »
- 3. L’anthropologie urbaine en France : une reconnaissance tardive
- 4. Quelques grandes orientations thématiques de l’anthropologie urbaine
- 5. D’une anthropologie de l’urbain à une anthropologie des mondes contemporains et connectés
- 6. Bibliographie
ANTHROPOLOGIE URBAINE
L’anthropologie urbaine est une branche de l’anthropologie qui a pour objet l’étude des villes et de leurs sociétés. Elle s’est d’abord développée dans des pays ayant connu une urbanisation accélérée, principalement à la fin du xixe et au début du xxe siècle, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, mais également l’Afrique australe minière sous domination britannique, avant d’émerger en France beaucoup plus tardivement, dans les années 1980. Il s’agissait notamment de comprendre comment l’urbanisation, alors en passe de devenir un phénomène planétaire, produisait un mode de vie particulier et quels bouleversements sociaux et culturels elle provoquait ; questions auxquelles l’anthropologie a tenté d’apporter une réponse singulière, marquée par l’ethnographie, mais aussi par des emprunts à d’autres disciplines, comme la sociologie et la géographie. S’est ainsi progressivement construit depuis plus d’un siècle un regard à la fois spécifique et pluriel sur les sociétés urbaines, leur fonctionnement et leur évolution. Ce regard n’a pas été sans faire débat au sein même de la discipline anthropologique, tout en contribuant à ouvrir celle-ci à l’analyse de nos mondes contemporains globalisés et désormais majoritairement urbanisés.
Les origines d’un regard singulier sur la ville : de Berlin « Großstadt » à Chicago, ville mosaïque
La grande ville ou métropole comme phénomène de civilisation émerge en Europe du Nord et aux États-Unis à la charnière des xixe et xxe siècles, et d’abord en Allemagne, où elle prend une ampleur particulière. Faisant jeu égal avec l’Angleterre industrielle, l’Allemagne connaît un développement urbain sans précédent. En quelques décennies, le pays passe d’un mode de vie globalement rural à un mode de vie majoritairement urbain. Un nouveau type de ville apparaît, la « métropole » (Großstadt), dont Berlin constituait alors la forme la plus aboutie. Capitale de la Prusse et de l’Allemagne réunies, Berlin devient la plus grande ville industrielle d’Europe, passant de 700 000 à 4 millions d’habitants entre 1867 et 1913. Elle présente un modèle social nouveau, que de nombreux sociologues allemands, dont Georg Simmel, vont étudier entre 1890 et 1920.
Simmel considère la métropole comme le creuset de la société moderne. Elle se caractérise selon lui par une mentalité et un style de vie particuliers (Simmel, 1903), dominés par l’individualisme des citadins et leur attitude de réserve et de distance devant la diversité des situations rencontrées dans les espaces publics. Pour Simmel, deux grandes figures urbaines émergent alors : « le blasé », citadin indifférent à la grande variété des scènes et des interactions urbaines qui s’offrent à lui ; « l’étranger » (Simmel, 1908), caractérisé par sa mobilité et sa situation marginale dans la société d’accueil. L’influence de Simmel sera importante chez les sociologues de l’école de Chicago qui le traduiront dès les années 1930 et reprendront certains de ses thèmes, comme l’individualisme, le blasé et l’étranger (ou homme marginal).
Chicago, comme les autres grandes villes américaines, a connu une forte croissance : elle est passée de 4 500 habitants en 1840 à 1 100 000 en 1890 pour atteindre 3 500 000 en 1930, devenant ainsi la deuxième ville des États-Unis et un de leurs plus importants centres industriels et boursiers. Détruite en partie par un incendie en 1871, la ville a été partiellement reconstruite d’acier et de béton, la verticalité moderniste de ses gratte-ciel contrastant alors avec la misère des quartiers ethniques où vont se concentrer l’essentiel des problèmes sociaux et économiques. Ces quartiers sont occupés par des migrants européens, arrivés par millions aux États-Unis au xixe siècle, mais aussi par un nombre croissant de Noirs[...]
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Écrit par
- Thierry BOISSIÈRE : anthropologue, maître de conférences à l'université de Lyon-II-Lumière
Classification
Médias
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