Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ANTHROPOLOGIE URBAINE

Un passage fondateur par l’Afrique : des villes minières aux « Brazzavilles noires »

L’autre grande école d’anthropologie urbaine est britannique et voit le jour à la fin des années 1930 en Rhodésie du Nord (auj. Zambie), alors dominée par la Grande-Bretagne. Le Rhodes-Livingstone Institute y est fondé en 1937, avec pour mission d’étudier les changements affectant les sociétés d’Afrique australe confrontées à l’émergence rapide de villes minières et industrielles. Ces villes nouvelles, participant aux circuits internationaux d’échanges, dominées par les colons européens et peuplées de travailleurs africains issus de différentes ethnies, se distinguaient des anciennes agglomérations indigènes précoloniales, telles Ibadan ou Tombouctou, qui étaient des agrovilles plus homogènes d’un point de vue ethnique et surtout peuplées de paysans.

Rattaché à l’université de Manchester (d’où le nom d’école de Manchester que prendra par la suite ce courant de la recherche urbaine), le Rhodes-Livingstone Institute a ainsi réuni dans les années 1940-1960 une équipe d’anthropologues britanniques et sud-africains composée notamment de Geoffrey Wilson, Max Gluckman, Arnold Leonard Epstein, Victor Turner et James Clyde Mitchell. Leurs travaux portèrent sur l’impact de l’urbanisation et de l’industrialisation sur les sociétés africaines. Dans leurs déplacements du village à la ville et leur accès au travail salarié industriel, les Africains adoptaient et adaptaient styles de vie et modes de consommation des Européens (Wilson, 1941). De nouveaux espaces de représentations et de mobilisations politiques virent ainsi le jour, comme les syndicats de mineurs qui, à l’occasion d’importantes grèves, mirent à mal, tout en les reformulant sous d’autres formes, les anciennes solidarités ethniques, les dirigeants ouvriers contestant et remplaçant élites et chefferies traditionnelles (Epstein, 1958).

Les citadins africains étaient désormais davantage confrontés à la mobilité et à l’anonymat urbains, leur distribution spatiale se faisant moins sur critères d’appartenance ethnique ou tribale qu’au hasard des attributions de logement. Si la référence tribale se maintient alors, c’est surtout comme un moyen général de classification parmi d’autres, comme l’âge, le sexe, l’habillement ou la simple apparence physique, et cela dans des rapports sociaux diversifiés et éphémères. Les différences subtiles de l’appartenance tribale observées en brousse sont en ville gommées au profit d’un classement en bloc des individus selon des critères généraux et approximatifs. L’un des exemples les plus connus de ce tribalisme urbain est la danse du Kalela. Étudiée par J. C. Mitchell (1956), cette danse urbaine était pratiquée par des jeunes de l’ethnie bisa, habillés à l’européenne et s’exprimant dans une langue comprise par l’ensemble de la population urbaine. Mettant en scène des personnages et des événements du contexte colonial, la danse se faisait alors l’expression d’une identité ethnique urbanisée, détachée des références tribales rurales. Comme l’a rappelé M. Gluckman, « un citadin africain est un citadin » : au-delà des particularités tribales locales, il existe dans les grandes villes africaines des procédés, communs à tous les citadins du monde, d’identification rapide, de classification sommaire des individus croisés dans l’anonymat des espaces urbains.

Des recherches comparables ont été menées à la même époque en Afrique francophone par un anthropologue français, Georges Balandier. Celui-ci attacha une attention particulière à la situation coloniale française qu’il intégra à son analyse de la ville de Brazzaville (Congo), alors en pleine mutation (Balandier, 1955). S’inscrivant dans une anthropologie des changements sociaux, Balandier saisit la façon dont les identités[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : anthropologue, maître de conférences à l'université de Lyon-II-Lumière

Classification

Médias

Chicago, 1929 - crédits : Chicago History Museum/ Getty Images

Chicago, 1929

Schéma des « aires concentriques » d’Ernest Burgess - crédits : Encyclopædia Universalis France

Schéma des « aires concentriques » d’Ernest Burgess

Autres références

  • MÉMOIRES URBAINES (anthropologie)

    • Écrit par
    • 2 471 mots
    • 1 média

    Dans le domaine de l’anthropologie de la ville, les mémoires urbaines représentent un thème relativement neuf, qui a gagné en visibilité dans les années 2000. Cette expression fait référence à des processus, des pratiques et des supports de construction mémorielle (et de l’oubli) qui interviennent...

  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par et
    • 16 158 mots
    • 1 média
    Signalons enfin une autre orientation de la discipline, l'anthropologie urbaine, qui se démarque de la sociologie par sa méthode spécifique et son horizon théorique et qui prend pour objet d'étude les grandes villes africaines ou américaines, les banlieues françaises, les entreprises ou les immeubles...
  • COMMERCES URBAINS ET MIGRATIONS

    • Écrit par
    • 1 097 mots

    Avec la confection et l’artisanat, le commerce de détail est une activité associée de longue date aux migrations, au point que Georg Simmel déclarait dès 1908 que « l’étranger fait partout son apparition comme commerçant, et le commerçant comme étranger » (Simmel, 1990). Les réseaux de solidarité...

  • DIASPORAS URBAINES

    • Écrit par
    • 1 588 mots
    • 1 média

    Ce qui caractérise la ville – coprésence d’étrangers, effervescence de la vie sociale, intensité des relations avec d’autres localités – tient, entre autres, à la présence de diasporas.

    Dès l’apparition des premières villes, des communautés de marchands forment des réseaux interconnectés...

  • MÉTROPOLISATION

    • Écrit par
    • 6 701 mots
    • 4 médias
    L’idée de différenciation voire de fragmentation qui accompagne la métropolisation renvoie aux inégalités socio-économiques entre habitants et usagers de la ville ; on pourrait presque évoquer une barrière, tant physique qu’administrative – et fiscale – et symbolique. Par exemple, des ...