- 1. Les origines d’un regard singulier sur la ville : de Berlin « Großstadt » à Chicago, ville mosaïque
- 2. Un passage fondateur par l’Afrique : des villes minières aux « Brazzavilles noires »
- 3. L’anthropologie urbaine en France : une reconnaissance tardive
- 4. Quelques grandes orientations thématiques de l’anthropologie urbaine
- 5. D’une anthropologie de l’urbain à une anthropologie des mondes contemporains et connectés
- 6. Bibliographie
ANTHROPOLOGIE URBAINE
L’anthropologie urbaine en France : une reconnaissance tardive
En France, l’anthropologie urbaine ne se constitue comme discipline universitaire qu’au début des années 1980. Quelques chercheurs ont travaillé auparavant sur le phénomène urbain, mais leurs démarches, plus sociologiques qu’anthropologiques, sont restées relativement isolées. Ainsi Maurice Halbwachs, un sociologue proche de Durkheim et travaillant notamment sur Paris et la condition ouvrière, fut dans les années 1930 l’un des premiers lecteurs des travaux de l’école de Chicago en France (Halbwachs, 1932 ; Topalov, 2006). Paul-Henry Chombart de Lauwe, sociologue, néanmoins formé par Marcel Mauss, reprit pour son étude (Chombart de Lauwe, 1952) sur le Paris des années 1950, alors en plein bouleversement, le schéma des aires concentriques élaboré par Burgess. Avec son équipe du Centre d’ethnologie sociale, il a également travaillé sur la vie quotidienne dans la ville.
Jusqu’à la fin des années 1960 cependant, la ville peine à s’imposer comme un objet légitime dans les sciences sociales. Pour un sociologue marxiste comme Manuel Castells (1968, 1972), elle ne pouvait être étudiée indépendamment de la question plus large du destin de la classe ouvrière et de la transformation des rapports sociaux par l’industrialisation : parler de culture ou de société urbaines relevait donc du mythe. C’est cependant un autre sociologue marxiste, Henri Lefebvre, qui comprit dès les années 1960 que, les sociétés européennes devenant majoritairement urbaines, la ville constituait désormais un élément incontournable de leur analyse. Il anticipa la disparition de la ville industrielle française et le développement d’une urbanisation généralisée s’affirmant par l’éclatement de la ville en périphéries, pavillonnaires et grands ensembles, autant de lieux de ségrégations sociale et ethnique (Lefebvre, 1970). Le droit à la ville que Lefebvre (1968) défend alors est celui du droit à une ville qui redeviendrait une œuvre collective. C’est dans ce contexte social et théorique que les premiers terrains urbains firent leur apparition en France : Colette Pétonnet (1968, 1979, 1982) développera ainsi dès la fin des années 1960 une ethnologie sensible des banlieues populaires et en particulier des bidonvilles puis des cités de transit. Sans s’inscrire directement dans le sillage des travaux de l’école du Chicago, dont elle ne découvrira l’existence que dans les années 1980, elle développera des démarches et des conceptions proches de cette école, en étudiant notamment le bidonville comme un espace produisant son ordre propre et un espace d’accueil et de transition entre le lieu d’origine et celui de l’insertion.
L’émergence institutionnelle d’une anthropologie urbaine en France est toutefois en partie liée aux changements sociaux et économiques qui eurent lieu tout au long des années 1970 et qui affectèrent en priorité les villes et leurs périphéries populaires : crise économique, désindustrialisation et montée du chômage, paupérisation des banlieues ouvrières, ségrégation sociale et spatiale croissante, « ethnicisation » progressive de la question migratoire, montée des revendications citoyennes et antiracistes des jeunes issus de l’immigration, avant que des revendications religieuses prennent par la suite le relais.
Les sciences sociales connaissent elles-mêmes des évolutions importantes avec l’effacement, à la fin des années 1970, des grandes théories structuralo-marxistes, et le retour du « sujet » et de l’interprétation, que consacre notamment le succès en anthropologie des travaux de Clifford Geertz. C’est aussi le retour en métropole d’anthropologues dont les terrains exotiques s’étaient fermés du fait de la décolonisation et des changements politiques qu’elle avait entraînés. La ville leur offrit alors de nouvelles[...]
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Écrit par
- Thierry BOISSIÈRE : anthropologue, maître de conférences à l'université de Lyon-II-Lumière
Classification
Médias
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