ANTHROPOLOGIE
La construction de l'ethnologie
Les introductions classiques assignent à la naissance de l'ethnologie des dates différentes ; certaines la font remonter à Hérodote, d'autres à Rousseau ou à Morgan. La référence à Hérodote s'explique par l'intérêt qu'il porta à la description des autres peuples, considérés toutefois comme des barbares ; la référence à Rousseau ne repose pas tant sur son mythe du bon sauvage que sur sa façon de traiter des relations entre nature et culture, de s'ouvrir aux autres, par l'effet d'une identification à autrui, ce qui est le propre de la tentative ethnologique. Au xixe siècle, la réflexion occidentale commençait sa révolution en intégrant l'homme dans le champ des connaissances positives, en faisant de lui un objet de savoir. Elle s'appuyait sur les relations nombreuses et détaillées que rédigèrent les voyageurs et les missionnaires sur les peuples lointains du Nouveau Monde et des colonies. Personne ne renie cette naissance ambiguë liée au colonialisme, mais cette conjonction historico-philosophique allait rendre possible l'avènement de l'ethnologie. Pour Michel Foucault, celle-ci ne fut possible qu'à partir du moment où « la position de la ratio occidentale s'est constituée dans son histoire et [... fonda] le rapport qu'elle peut avoir à toutes les autres sociétés, même à cette société où elle est historiquement apparue ». De même, pour Lévi-Strauss, « si la société est dans l'anthropologie, l'anthropologie elle-même est dans la société [...] ; les circonstances de son apparition [...] s'accompagnent d'une prise de conscience – presque un remords – de ce que l'humanité ait pu, pendant si longtemps, demeurer aliénée d'elle-même ».
À cette époque, les théories darwiniennes de l'évolution, si elles incitaient à la connaissance des autres peuples, n'impliquaient pas que ceux-ci fussent mis sur le même plan que l'Occident civilisé. L'ethnocentrisme d'Hérodote se retrouve ainsi au xixe siècle dans les premières classifications des peuples dits primitifs, considérés comme étant des sauvages ou des barbares selon leur degré de technicité et d'organisation sociale. Les auteurs d'alors (Morgan, McLennan, Maine) se préoccupaient de l'origine de la famille, du matriarcat et du patriarcat, de la propriété privée. Le savoir ethnologique servait à reconstituer l'évolution des sociétés humaines, dont l'aboutissement était la civilisation technicienne et monogame, celle, donc, de l'Occident. Comme les innovations technologiques s'accompagnent de transformations sociales, on estimait que leur évolution, du feu à la vapeur, expliquait les changements sociaux, le passage de la promiscuité primitive à la monogamie à travers une série d'étapes obligées, dont les sociétés primitives actuelles représentaient les vestiges et que notre société elle-même devait avoir parcourues. C'est pourquoi l'ethnologie pouvait être qualifiée d'étude sur l'histoire des peuples et des cultures et ne cherchait pas à donner un sens à une société particulière considérée en elle-même.
Seuls certains traits ou institutions étaient retenus à des fins comparatives pour reconstruire le sens de l'évolution. Histoire et ethnologie se trouvaient alors étroitement liées, cette association ne devant d'ailleurs jamais cesser d'être discutée. C'est pourtant à la lumière de cette théorie évolutionniste que la recherche ethnologique fit l'inventaire des connaissances et forgea ses premiers concepts, ainsi que sa méthode spécifique, qui lui évita de demeurer une simple philosophie sociale. L'Américain Lewis Henry Morgan (1818-1881) est souvent considéré comme le fondateur de la discipline, car il fut le[...]
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Écrit par
- Élisabeth COPET-ROUGIER : chargée de recherche au C.N.R.S.
- Christian GHASARIAN : ethnologue, professeur à l'université de Neuchâtel
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