ANTHROPOLOGIE
L’anthropologie postmoderne
Depuis les années 1980, la problématisation quasi généralisée des connaissances académiques a constitué un mouvement important dans les universités anglo-saxonnes. En dépit d'une très grande hétérogénéité interne, ce courant, qualifié de « postmoderne », considère dans l'ensemble que les théories sociales modernes, héritées des Lumières, reposent sur la fausse conviction que la connaissance des lois générales de la société est source de progrès et de liberté. Du point de vue des critiques postmodernes, le problème de ces théories est d'être sous-tendues par des idéologies implicites et de vouloir apporter des réponses universelles et atemporelles aux questions qu'elles posent.
Depuis leur émergence au sein de la discipline anthropologique, les positions « postmodernes » ont fait – et continuent de faire – l'objet de débats actifs. Certains y voient l'avènement d'une ère nouvelle dans les sciences sociales, et d'autres un stérile et passager phénomène de mode. Le fait est que les perspectives postmodernes sont assez pessimistes (que se passe-t-il après la modernité ?) et posent plus de questions qu'elles n'offrent de réponses. Parmi les principales critiques qui leur sont adressées : une valorisation exagérée du relativisme et une dépolitisation intellectuelle. Pour beaucoup, s'en tenir à la déconstruction participe d'un jeu intellectuel narcissique. C'est dans cette logique que l'on parle déjà depuis plusieurs années de « post-postmodernisme ».
Puisant notamment leur inspiration chez des penseurs français, dans les théories postcoloniales et féministes, les théoriciens dits « postmodernes » invitent à relativiser les vérités établies et les savoirs en jeu dans la construction de la réalité et à les replacer dans les contextes historiques, sociaux et linguistiques qui les ont déterminés. Inspirés par les philosophies remettant en cause l'espoir et la certitude d'accumuler une connaissance neutre et objective, ils problématisent l'idée d'un modèle général et encouragent une suspicion envers le pouvoir de la « raison » et son discours émancipateur, l'accumulation du savoir scientifique, l'acceptation des affirmations kantiennes universalistes, etc. Ils appréhendent plutôt le sujet humaniste moderne comme le produit d'institutions et de discours bourgeois. Cette situation participe de la « crise des sciences sociales » dans lesquelles les notions de « subjectivité » et d'« hétérogénéité des perspectives » prennent le pas sur celles d'« objectivité », de « neutralité » (du chercheur), de « raison » et de « vérité ».
Pour des auteurs comme Jean-François Lyotard, la « condition postmoderne » est caractérisée par une désillusion envers le monde occidental et une incrédulité accrue envers les « grands récits » explicatifs, c'est-à-dire les théories totalisantes et les politiques révolutionnaires du passé. Affirmer détenir la vérité ou connaître la réalité des choses, c'est exercer un pouvoir dans la mesure où c'est sa propre voix qui est exposée aux dépens des autres voix. Avec lui (et bien qu'ils ne se soient eux-mêmes jamais identifiés au postmodernisme), Michel Foucault et Pierre Bourdieu sont fréquemment évoqués, le premier pour avoir souligné que les institutions ne peuvent fonctionner sans l'exercice du pouvoir et que celui qui parle, et donc produit le savoir, a le pouvoir ; le second pour avoir prôné la nécessité pour le chercheur de développer une démarche réflexive visant à objectiver sa propre situation dans le champ du savoir. Plus officiellement associé à la critique postmoderne, le travail déconstructionniste de Jacques Derrida relativise lui aussi l'humanisme résiduel[...]
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Écrit par
- Élisabeth COPET-ROUGIER : chargée de recherche au C.N.R.S.
- Christian GHASARIAN : ethnologue, professeur à l'université de Neuchâtel
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