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ANTHROPOLOGY DAY (1904)

Les jeux Olympiques de Saint Louis demeurent avant tout ceux de l'Amérique blanche. La guerre de Sécession est achevée depuis moins de quarante ans, la victoire du Nord sur le Sud a permis l'abolition de l'esclavage en 1865. Cette abolition ne signifie pas pour autant l'égalité des races, loin de là : malgré les 14e et 15e amendements de la Constitution votés par le Congrès en 1868 et en 1870 en vertu desquels aucune pratique discriminatoire ne peut être adoptée à l'égard de citoyens américains, la ségrégation s'instaure ; elle se légalise même en 1896 (arrêt « Plessy contre Ferguson » qui établit le principe de « facilités séparées, mais égales »).

Pour le Sud profond, dont Saint Louis est l'un des fleurons, la supériorité de la « race blanche » va de soi ; les jeux Olympiques de 1904 fournissent l'occasion de prouver « scientifiquement » ce fait. On organise ainsi l'Anthropology Day, deux jours en fait (12 et 13 août) durant lesquels il ne s'agit pas seulement de distraire le public, mais de tester, devant des scientifiques et des professeurs, les qualités athlétiques des races jugées « inférieures », bref de valider les thèses du racisme scientifique. William John McGee, le premier président de l'American Anthropological Association, directeur du département anthropologique de la Louisiana Purchase Exposition durant laquelle se déroulent les Jeux, apporte sa caution à l'événement. Ferenc Kemény, le seul délégué du C.I.O présent à Saint Louis, tente de s'opposer à cette farce en brandissant la Charte olympique : « Toute discrimination contre un pays ou une personne en raison de sa race, sa religion ou son régime politique est interdite. » Pour toute réponse, il reçoit une fin de non-recevoir.

Le programme sportif est établi : courses de sprint, de haies et de demi-fond, saut en hauteur, lancer du javelot, tir à l'arc, escalade du mât de 50 pieds, lutte à la corde... Des « séries éliminatoires » sont organisées : les représentants des différentes « ethnies » s'affrontent entre eux, puis les vainqueurs se confrontent lors de sortes de « finales interethniques ». Pour sélectionner les concurrents, on réquisitionne les participants parmi la main-d'œuvre à bon marché qui travaille sur l'Exposition universelle et on sort les Indiens de leurs réserves – Geronimo, le vieux chef apache, est même invité à assister aux épreuves. Indiens d'Amérique, Aïnous du Japon, Pygmées, Patagons d'Argentine, Moros et Igorots des Philippines, Cocopas du Mexique, Turcs, Syriens... sont inscrits d'autorité pour participer à ces « compétitions ». Le palmarès est officiellement établi et se voit largement commenté. George Mentz, un Sioux, est la « vedette » de ces journées : il remporte le 100 yards (11 s 4/5), le 440 yards et le saut en hauteur. D'un côté, les scientifiques se gaussent : « N'importe quel écolier [américain blanc] aurait fait mieux [que 11 s 4/5]. » De l'autre, les organisateurs se félicitent de la belle santé des Indiens qui, parqués dans des réserves « pour leur bien » par les Blancs, se montrent plus forts à la course que Patagons, Syriens ou Igorots... Tout est décortiqué afin d'analyse. On apprend ainsi que les Patagons, vainqueurs de la lutte à la corde, démontrent une certaine force, mais ne savent pas la mettre à profit pour lancer le poids, que les Cafres font preuve d'endurance. Les commentateurs soulignent l'agilité des Pygmées, notamment dans l'escalade du mât de 50 pieds, mais s'étonnent de la très mauvaise performance du meilleur des Pygmées dans le 100 yards (14 s 3/5) alors « qu'ils sont habitués à courir, nager et sauter pour chasser » ; en outre, on se désole du manque de sérieux de ces mêmes Pygmées, qui ne comprennent pas[...]

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Écrit par

  • : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs

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