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ANTHROPOMORPHISME

Réflexion critique sur l'usage du concept

On notera, tout d'abord, le manque de rigueur interne du concept. Apparu tardivement, forgé savamment sur le grec (ἄνθρωπος et μορϕή), le terme anthropomorphisme ne fait que recouvrir un ensemble de notions plus anciennes qui, une fois inventoriées et répertoriées, se révèlent dépourvues de l'homogénéité et de l'unité que l'on est en droit d'attendre d'un concept achevé.

La formation artificielle du terme rend peu utile l'examen étymologique ; tout au plus peut-on signaler le sens lâche, prêtant à variations, du terme μορϕή, forme plastique, ensemble de propriétés, structure, essence...

Faut-il tenir l'anthropomorphisme pour un processus premier et originaire de la pensée ? Il apparaît alors comme clôture initiale, « obstacle épistémologique » au sens de Bachelard, gangue primitive dont on peut se dégager par la vigilance et l'ascèse. Mais il peut aussi alors représenter une structure constitutive de la pensée humaine, et à ce titre irrémédiable et nécessaire. Que peut en ce cas signifier sa dénonciation ? L'anthropomorphisme serait alors comme un préalable objectif, nécessaire à la compréhension du monde par l'homme ; si l'expression n'était impertinente, nous parlerions volontiers, à des fins pédagogiques, d'« anthropomorphisme transcendantal ».

L'anthropomorphisme peut apparaître aussi comme un processus secondaire médiateur, essentiellement défensif, assimilateur, déviation et décadence qu'il conviendrait de surmonter afin de retrouver la prise droite et directe sur les choses.

Quoi qu'il en soit de la réalité effective du processus dont il s'agit, la modalité de sa désignation est sûre. Plus qu'un concept positivement défini, nous avons là un concept à usage étroitement critique indiquant négativement ce dont il faut se dépouiller ou se garder ; il implique un jugement réflexif sur la représentation en général, soit verbale et conceptuelle, soit picturale et plastique, sur son adéquation, sa valeur, sa possibilité ; il apparaît créé par cet usage critique, et s'exhibant comme objet de critique, de dénonciation, de blâme, voire de scandale. Concept normatif et polémique, il ne vient au jour comme tel et ne se connaît que pour s'accuser, éventuellement s'excuser, plus rarement se justifier. Qualifier une théorie ou une pensée d'« anthropomorphique », c'est en effet la discréditer comme pensée « subjective », en un sens qui dépasse le sujet individuel, surtout comme pensée qui manque l'objet, qui le masque, à la limite pensée purement tautologique et solipsiste, par-delà le prétexte objectif et la saisie illusoire de l'altérité.

Si nous posions alors la question : « Comment la représentation humaine atteint-elle dans sa vérité ce qui n'est pas humain ? » nous rejoindrions la problématique, trop vaste ici, et aussi trop vague, de la connaissance, dont la formulation scolaire et banale : « Comment l'esprit peut-il sortir de lui-même et atteindre les choses ? » nous renvoie à une critique kantienne pour nous interroger sur l'origine de ce type particulier d'erreur que constitue l'anthropomorphisme.

Faut-il assigner à cette matrice d'erreurs diverses, à ce mode de connaissance qui se perpétue dans l'imaginaire duplication du Même, une origine affective, le simple et éternel amour de l'homme pour son image ? Dans ce cas, c'est d'un narcissisme spécifique que nous devrions parler, narcissisme aveugle, mais efficace, s'il est vrai que la perception anthropomorphique construit le monde à titre de miroir. Ainsi se retrouve, mais inversée, la vieille idée des présocratiques selon laquelle « le semblable perçoit le semblable ». S'il est difficile de mesurer l'impact de l'affectivité sur[...]

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Écrit par

  • : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes

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Metropolis, Fritz Lang - crédits : Horst von Harbou/ Stiftung Deutsche Kinemathek/ AKG-images

Metropolis, Fritz Lang

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