ANTI-ART
L'anti-art et ses avatars
Le destin de l'anti-art ne traduit pas, depuis, cette violence extrême. Au fur et à mesure que l'art d' avant-garde a été accepté, classé, valorisé financièrement par les critiques, les musées et les marchands, l'anti-art est devenu l'épiphénomène de l'art. Si Breton n'y a jamais fait appel, s'il a même contribué à perpétuer à sa manière la vocation subversive de l'art proprement dit, son ami Marcel Duchamp, qu'il a associé à l'organisation des expositions internationales du surréalisme, a souterrainement favorisé une résistance critique contre les mythes, contre les poncifs, contre le professionnalisme de l'art. Les ready-made de Duchamp – ainsi que les objets de Man Ray – ont servi de balises, sinon de repères, dans cette clandestine aventure. Tout s'est donc passé comme si Breton laissait faire Duchamp dans un domaine dont ni l'un ni l'autre n'ont jamais voulu établir l'inventaire analytique. Duchamp bénéficiait aux yeux de Breton du préjugé favorable qui s'attache à tout individu exceptionnel en rupture de ban. On a donc longtemps considéré les quelque trente ready-made qu'il a signés en 1923 et 1968 comme les jalons d'une œuvre solitaire, sans équivalent possible. En fait, ces trente ready-made, objets tout faits ou rectifiés, qui contredisent tous la conception de l'œuvre originale conçue par les mains et par l'esprit de l'artiste, sont devenus les exemples d'une pensée qui s'oppose à toute espèce de définition de l' art. Il n'est donc pas étonnant qu'à la fin des années cinquante et au début des années soixante, au moment où l'art moderne a connu une crise économique extrêmement grave, liée à la fatigue engendrée par la surproduction d'œuvres, abstraites ou non, de moins en moins signifiantes et de plus en plus détachées et vides, Marcel Duchamp soit devenu, avec Picabia, l'un des rares centres de référence intellectuelle d'une nouvelle génération d'artistes. C'est à ce moment que le Nouveau Réalisme puis les Objecteurs ont pris l'initiative d'une offensive nouvelle contre les mythologies esthétiques du modernisme : l'expression et l'expressivité, la forme et le formalisme, la personne et la personnalité... Soudain, les choses de la vie se sont chargées du sens qui fuyait les œuvres d'art, et une nouvelle manière de comprendre la volonté de communication a engendré de nouvelles avant-gardes. Très vite, cependant, le pop art, le minimal art et le conceptual art sont devenus, comme leur nom l'indiquait, des formes nouvelles d'art, en contradiction avec les principes premiers qui les ont rendus possibles. Il est à noter que le mot « art » ne manque jamais dans la désignation de ces nouvelles formes, telles qu'elles ont été comprises aux États-Unis et en Italie (arte povera), alors que ce même mot fait symptomatiquement défaut en France (Nouveau Réalisme, Objecteurs, Figuration narrative, Support-surface, etc.). Ceux qui ont été le plus loin dans la résiliation de l'art : Daniel Pommereulle, Erik Dietmann, Tetsumi Kudo et Daniel Spoerri, en tant qu'Objecteurs, sont d'ailleurs ceux que l'on a eu le plus de mal à commenter et à situer. Par ailleurs, des tentatives théoriques d'un type extrémiste, comme celles qui ont regroupé d'abord en France les peintres Buren, Parmentier, Toroni et Mosset, si elles coïncident ou correspondent à certaines tentatives du minimal américain, ont créé des îlots récalcitrants dans le domaine assez confusionnel des avant-gardes. Le groupe Support-surface, avec en particulier Daniel Dezeuze et Louis Cane, a lié un temps cette résistance esthétique à des positions politiques d'extrême gauche vite révisées et reniées.[...]
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Écrit par
- Alain JOUFFROY : écrivain
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