ANTIGONE (H. Bauchau) Fiche de lecture
Dès « L'Archer », poème écrit en 1950, Henry Bauchau évoquait le « roi sourd endormi dans le champ des rameurs, et l'aveugle écoutant à la proue des navires, le rêveur exilé de l'histoire du vent ». Cette image annonçait une patiente progression en compagnie d'Œdipe et d'Antigone, qui s'est achevée quarante-sept ans plus tard, avec la publication du roman Antigone (Actes sud, 1997).
Auprès de sa première analyste, Blanche Jouve-Réverchon, Henry Bauchau a découvert que l'écriture était son « levier » essentiel. Il a alors pratiqué la poésie, forme littéraire pour lui fondamentale : située à la source de la pensée inconsciente, elle conserve le rythme, la musicalité, le chant qui sont l'expression des origines de ces peuples archaïques auprès desquels Œdipe et Antigone, au cours de leur errance, découvrent des modèles de sagesse et de savoir, liés aux forces de l'univers.
Pour Henry Bauchau, la poésie est en rapport direct avec le théâtre ; et la figure d'Œdipe est réapparue dans une pièce, La Reine en amont, écrite en 1968, à la fin de sa psychanalyse didactique avec Conrad Stein. Mais c'est Antigone qui, en surgissant à travers un poème, « Les Deux Antigone » (1982), a forcé le passage de l'épure poétique au lent processus romanesque. Pendant le développement d'Œdipe sur la route (1990), Antigone a revêtu une importance croissante, et l'écrivain a repris la plume pour narrer son retour à Thèbes et l'accomplissement de son destin.
De Gengis Khan (1960) à Œdipe et Antigone, en passant par Mao Zedong (Essai sur la vie de Mao Zedong, 1982) ou par l'officier de la guerre de Sécession du Régiment noir (1972), Henry Bauchau éprouve un grand intérêt pour les héros à dimension mythique, manifestation de son désir de rencontre avec des personnages comparables pour lui, dans l'écriture, à de grandes personnes dans la vie d'un enfant. Dans « L'Enfant de Salamine », fable rédigée en 1991, Henry Bauchau a imaginé la rencontre de Sophocle avec Antigone et Œdipe. Antigone affirme à celui qui est devenu poète après la bataille de Salamine qu'il les « a appelés pour [leur] donner l'existence ». Mais, en même temps, Antigone « libérait [s]on esprit et lui insufflait une énergie inconnue. [Il] découvrai[t] que [sa] parole emprisonnée serait un jour délivrée par la sienne, par ses actes superbes, et soulevée par l'enthousiasme » (« L'Enfant de Salamine », in L'Arbre fou, 1995).
C'est dans cette émotion intense le poussant à l'écriture qu'Henry Bauchau entraîne son lecteur. Même s'il rend hommage à Freud à travers Œdipe, même si la psychanalyse est très présente à la naissance de sa démarche, ses romans consacrés à Œdipe et à Antigone se situent aux antipodes de la transposition littéraire d'idées théoriques et même des livres placés sous l'influence directe de l'analyse : c'est dans La Déchirure (1966), roman écrit à partir de carnets rédigés auprès de Blanche Jouve-Réverchon, qu'Henry Bauchau a livré le récit de son enfance et créé la première figure féminine de son œuvre, Mérence, « l'être maternel à travers son absence ».
Antigone est rédigé à la première personne du féminin et montre le lent retour d'une femme née pour l'amour, la compassion, le plaisir de la danse et l'enfantement dans une Thèbes soumise aux lois viriles de la guerre opposant ses deux frères jumeaux, Étéocle et Polynice. « La matière de l'écriture » est pour Henry Bauchau « matière féminine ». Ce livre lui donne un nouveau déploiement, le souffle d'une écriture riche mais dépourvue de tout superflu, parfaitement lissée pour mieux suivre le flux du cheminement intérieur d'Antigone à travers les ombres et les lumières de la vie.[...]
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Écrit par
- Aliette ARMEL : romancière et critique littéraire
Classification
Média