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ANTIMATIÈRE

Antiatomes

En septembre 1995, une équipe de physiciens allemands et italiens utilisant un des accélérateurs du Cern, le complexe européen de physique des particules situé près de Genève, réalisèrent la fabrication de quelques antiatomes à partir des antiparticules du proton et de l'électron. Le dispositif expérimental tirait avantage de l'anneau d'accumulation d'antiprotons de basse énergie (le L.E.A.R., Low Energy Antiproton Ring) auquel l'équipe menée par Walter Oelert adjoignit une cible interne de xénon gazeux. Les bouffées d'antiproton traversant l'infime jet de xénon y créent parfois une paire électron-positon ; le positon peut occasionnellement avoir une vitesse permettant sa capture par un antiproton de cette même bouffée. Puisque seuls les systèmes électriquement neutres se propagent en ligne droite dans un champ magnétique, le passage près d'un des aimants de courbure du L.E.A.R. suffit alors à se débarrasser des antiprotons qui entourent cet antiatome ; pour l'extraire, on fournit à celui-ci une « porte de sortie », un tube à vide rectiligne tangent à l'anneau circulaire. Un dispositif de détection des produits de l'annihilation éventuelle de l'antiatome avec la matière résiduelle complète l'expérience. Trois semaines de prises de données ont ainsi permis de signer la propagation de neuf antiatomes d'hydrogène sur une dizaine de mètres et pendant environ quarante milliardièmes de seconde. Cette découverte fut confirmée en automne 1996 par une équipe américaine du laboratoire national Fermi, près de Chicago, qui utilisait un dispositif expérimental peu différent : des antiprotons étaient envoyés sur un jet d'hydrogène gazeux ; les antiatomes y étaient déjà détectés par leur trajectoire typique d'objets électriquement neutres, puis scindés, d'une part, en un positon dont on observait l'annihilation sur un électron, et, d'autre part, en un antiproton dont on reconnaissait la trace dans une chambre à fil.

L'étude des antiatomes est l'occasion de tests cruciaux des concepts de base de la physique actuelle. Si l'on parvient à stocker dans des pièges électromagnétiques un nombre suffisant d'antiatomes, on pourra étudier leur spectroscopie et ainsi tester la symétrie entre matière et antimatière. Comme l'atome d'hydrogène, l'antiatome peut être excité de son état fondamental (1s) jusqu'à un état métastable (2s) dont la durée de vie devrait être de 122 millisecondes si la symétrie C.P.T. est parfaite. On peut espérer mesurer l'énergie libérée lors de la désexcitation subséquente par émission de deux photons, avec une très grande précision – de l'ordre de 10—15 à 10—18 – pourvu qu'on freine les antiatomes jusqu'à des énergies équivalent à des températures de l'ordre du millikelvin, ce qui est envisageable avec les techniques de refroidissement par laser. Par ailleurs, le principe d'équivalence d'Einstein – identifiant la masse inertielle et la masse gravitationnelle –, qui fonde la théorie de la relativité générale et donc pratiquement toute notre compréhension de l'espace-temps, doit impérativement s'appliquer aux antiparticules. Le fait que l'orbite de la Terre autour du Soleil soit une ellipse induit une modulation saisonnière du champ gravitationnel à la surface de notre planète. Comme un champ gravitationnel cause un décalage vers le rouge des fréquences des photons émis lors des transitions atomiques, un écart au principe d'équivalence pour l'antimatière serait signé par une variation saisonnière de ce décalage différente de celle qui peut être mesurée dans les mêmes conditions sur un atome d'hydrogène ordinaire. Des expériences spécifiques ont été prévues au Cern et au laboratoire Fermi pour tenter de[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau
  • : professeur à l'université de Grenoble-I-Joseph-Fourier, responsable du groupe de physique théorique de Grenoble

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Électron : spectre d'énergie - crédits : Encyclopædia Universalis France

Électron : spectre d'énergie

Interprétation de Feynman - crédits : Encyclopædia Universalis France

Interprétation de Feynman

Emilio Segrè - crédits : Keystone/ Getty Images

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