ANTIPSYCHIATRIE
Tenter de situer l'antipsychiatrie par rapport à la psychiatrie, c'est courir le risque majeur d'accepter un couple antinomique où le second terme recouvrirait une doctrine impliquant une démarche objectivante, celle même que récuse l'antipsychiatrie. « L'antipsychiatrie, écrit Danielle Sivadon, se veut silence sur le vacarme des théories [...] on imagine mieux du noir sur une toile, un écran silencieux, une feuille de papier blanc » (L'Avenir d'une utopie).
Origine du mouvement
Comme tout phénomène humain, le mouvement a une histoire. Il débute à Londres dans les années 1960 et groupe des psychiatres anglais et américains ; certains sont psychanalystes. Freud avait déjà apporté « la peste » dans la psychiatrie en abordant le problème des psychoses psychanalytiquement. Elles n'étaient plus constitutionnelles ou organiques mais s'engendraient d'un manque radical, manque non symbolisé faisant la place à un cataclysme imaginaire (Lacan), substance même d'une tentative de reconstruction qui constitue la psychose elle-même. C'était reprendre par la psychogenèse la folie au compte de la psychologie en ouvrant en même temps le champ clos de celle-ci, ainsi que l'exprime Michel Foucault : « Jamais la psychologie ne pourra dire la vérité sur la folie puisque c'est la folie qui détient la vérité de la psychologie. » Ce mode d'approche permettait l'écoute décisive du discours de la folie, mais l'effet tournait court au niveau de la pratique psychiatrique pour deux raisons : d'une part la persistance du milieu psychiatrique institutionnel ; d'autre part, le désir de guérir. La tentative qui avait été faite par Freud se trouvait stérilisée par la répression sociale.
C'est contre cette violence de la psychiatrie comme outil de la répression sociale de la folie que naît et se développe l'antipsychiatrie, et c'est ce point de départ qui motive la référence à une philosophie existentielle (Nietzsche, Kierkegaard, Heidegger, Sartre) reléguant à l'arrière-plan l'apport psychanalytique dont les tenants sont même suspects, comme les psychiatres, de viser la guérison et la récupération des sujets au nom d'une société, soupçon qui n'est pas toujours dénué de fondement.
David Cooper, le premier – et c'est à lui qu'on doit le terme d'antipsychiatrie –, s'engage dans une expérience en milieu psychiatrique sur le mode des communautés thérapeutiques. Il s'agit de faire en sorte que les malades deviennent responsables de leur communauté et des mesures thérapeutiques qui peuvent être prises. Les médecins et le personnel ne sont plus là comme des soignants s'occupant de soignés, mais comme des référents pour que le discours de la folie soit reçu. Cette première expérience en milieu psychiatrique aboutit à l'échec, car elle est faussée et rejetée par ce milieu.
En 1965, les docteurs Ronald David Laing et Aaron Esterson fondent avec David Cooper la Philadelphia Association afin de créer des lieux d'accueil originaux. Trois de ces centres (households) s'ouvrent successivement : Kingsley Hall, qui a fonctionné jusqu'en 1970, puis deux autres maisons, encore appelées « communes ». Dans son rapport de 1969, l'association se fixe, entre autres, les buts suivants : délivrer la maladie mentale, en particulier la schizophrénie (au sens extensif des Anglo-Saxons), de toutes les descriptions ; entreprendre de rechercher les causes des maladies mentales, les moyens de les détecter, de les prévenir, de les traiter ; organiser des lieux d'accueil pour les personnes souffrant ou ayant souffert de maladie mentale. Le rapport ajoute : « Nous visons à changer la façon dont les faits de la santé mentale et de la maladie mentale sont considérés ; c'est une invitation à changer de modèle[...]
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Écrit par
- Robert LEFORT : psychanalyste
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