ANTISÉMITISME
Éclosion de l'antisémitisme au XIXe siècle
Aboutissement politique des réflexions engagées par les Lumières, la loi relative aux Juifs adoptée par l'Assemblée nationale le 27 septembre 1791 et promulguée par Louis XVI le 13 novembre apporte à la question juive une réponse qui consacre pour la première fois en Europe le principe de l'égalité en droit des juifs.
Le choc de l'émancipation
L'émancipation des Juifs en France (1790-1791) suscite des réactions diverses. Il y a ceux qui craignent que les juifs ne remplissent pas leurs obligations à l'égard de la nation qui les a reconnus comme citoyens à part entière. Il y a aussi ceux qui par principe refusent cette entrée dans la nation, les partisans de l'ordre ancien, fondé sur la ségrégation et les discriminations. L'émancipation s'était accompagnée de l'octroi de facilités de remboursement aux débiteurs chrétiens des juifs et de l'annulation de nombre de créances. Les méthodes de l'Ancien Régime n'avaient pas tout à fait disparu. Par la suite, la Terreur, avec sa politique antireligieuse dirigée contre les prêtres réfractaires, n'épargne pas non plus les juifs.
Au fil de ses victoires, Napoléon étend l'émancipation en Europe. Au niveau de l'organisation du culte, son règne ouvre une phase nouvelle. En 1808, il crée les consistoires, parallèlement aux consistoires protestants. Reste que d'un point de vue juridique, la période napoléonienne constitue une régression. En 1808 toujours, l'Empereur prend un décret par la suite qualifié de « décret infâme », qui instaure un système d'inégalité juridique pour les juifs en reprenant quelques-unes des pratiques discriminatoires de l'Ancien Régime. Il reste en vigueur pendant dix ans. Après 1848, l'émancipation des juifs s'impose un peu partout en Europe.
Les trois sources modernes du rejet
Dominant la société d'Ancien Régime dans son ensemble, l'antijudaïsme hérité du christianisme se politise en se réduisant peu à peu à la droite monarchiste antilibérale et à sa clientèle paysanne, opposées au capitalisme industriel et financier. L'Église romaine reste quant à elle inflexible dans son hostilité religieuse, comme l'illustre tristement, en 1858, l'affaire Mortara : baptisé secrètement par une servante chrétienne, Edgardo Mortara est enlevé en toute légalité canonique à ses parents juifs à l'âge d'un an pour être élevé catholiquement puis ordonné prêtre, en dépit des protestations internationales.
Dans l'imagerie populaire et rurale correspondant à ce courant, le juif est l'agent de la Révolution, le persécuteur du clergé, le fossoyeur de la religion et de la civilisation chrétiennes (accusations réactivées lors de la révolution russe). L'antijudaïsme religieux du xixe siècle est donc nettement contre-révolutionnaire, associé au clan « ultra ». Il est plus virulent que jamais sous la IIIe République, à partir de 1879, en réaction au programme de laïcisation de l'éducation entrepris par le nouveau régime. Le juif est considéré non seulement comme l'artisan de la Révolution et de l'anticléricalisme, mais aussi comme le persécuteur du clergé, le fossoyeur de la religion et de la civilisation chrétiennes. Dès le début du siècle, cet antijudaïsme a produit une abondante littérature. Il prend de l'ampleur sous le second Empire, avec la parution, en 1869, de l'ouvrage du chevalier Henri Gougenot des Mousseaux, Le Juif, le judaïsme et la judaïsation des peuples chrétiens, qui deviendra une référence de l'antisémitisme.
La gauche apporte sa propre contribution au renouvellement du discours de haine contre les juifs. Les premiers théoriciens de la révolution industrielle et de la classe ouvrière, tels Charles Fourier, Pierre[...]
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Écrit par
- Esther BENBASSA : directrice de recherche à l'École pratique des hautes études (Sorbonne), titulaire de la chaire d'histoire du judaïsme moderne
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