ANTISÉMITISME
L'antisémitisme de 1914 à 1945
En France, la Grande Guerre dilue l'antisémitisme dans l'élan patriotique de l'« Union sacrée » prônée par Barrès, qui consent enfin à admettre les juifs parmi Les Diverses Familles spirituelles de la France, titre de son ouvrage paru en 1917. Le prix du sang versé à la patrie donnait la preuve la plus haute de la loyauté nationale des juifs : il fut oublié par bon nombre aussitôt la guerre finie.
Enraciné dans le terrain idéologique constitué à la fin du xixe siècle, l'antisémitisme réapparaît dans l'après-guerre plus fort que jamais ; les causes en sont multiples. La guerre avait occasionné une dépression économique importante. La société européenne avait subi un traumatisme de taille avec ses millions de morts. Le nationalisme forcené des nouveaux États européens indépendants, comme la Pologne, la Roumanie, la Lituanie et la Lettonie, la peur du bolchevisme, la résistance à la démocratie parlementaire à la suite des soulèvements révolutionnaires qui se produisirent à la fin de la guerre se combinent pour créer un climat très favorable au développement de l'antisémitisme.
Nationalisme et antisémitisme
À partir de 1919, la mise en circulation, à l'Ouest, des Protocoles des Sages de Sion, d'abord sous forme manuscrite, va devenir une arme clé de la propagande antisémite. La première édition allemande paraît en 1920. Le livre connaît un succès rapide. Il fut réédité deux fois au cours du mois qui suivit la publication, cinq fois avant la fin de 1920. 120 000 exemplaires en furent écoulés en moins d'un an. Le livre a certainement beaucoup contribué à la propagation de la folie nazie sous le régime démocratique et libéral de la République de Weimar. La première édition anglaise, anonyme, parut sous le titre de Péril juif, en janvier ou février 1920. Le 8 mai 1920, le Times de Londres lui consacrait un long article. Son exploitation à grande échelle ne venait que de commencer. Il s'agit en fait d'un faux fabriqué au début du xxe siècle par la police tsariste pour fournir la preuve parfaite du complot juif pour dominer le monde. Toute une littérature se développe autour de ce faux à partir des années 1930, qui sont aussi celles de la faillite de l'ordre international pacifique incarné par la S.D.N.
L'Allemagne, l'Autriche et la Hongrie, sorties vaincues de la guerre, connaissent les formes d'antisémitisme les plus virulentes. Humiliée par les conditions du traité de Versailles, la première reste abasourdie par la défaite de son armée, soi-disant « invaincue sur le champ de bataille ». L'idée d'une trahison des politiciens, d'un « coup de poignard dans le dos », d'une collusion contre l'Allemagne des juifs bolcheviques et des juifs capitalistes est colportée dès l'armistice. Crise politique (chute de l'empire, révolution spartakiste) et économique se conjuguent pour reconvertir nombre des six millions de soldats démobilisés dans une multitude de formations paramilitaires, et banaliser la violence de guerre dans la société civile. On dénombre en Allemagne plus de 300 assassinats d'hommes politiques entre 1919 et 1924. Les formations d'extrême droite s'en prennent aux juifs et aux hommes politiques de la république « enjuivée » de Weimar. L'une d'entre elles, le Parti national socialiste des travailleurs allemands (N.S.D.A.P.) est dirigée dès sa fondation, en 1920, par un obscur caporal, Adolf Hitler. En 1922, le ministre juif allemand des Affaires étrangères, Walter Rathenau, est assassiné par deux membres de l'organisation Consul, persuadés d'éliminer l'un des sages des Protocoles.
Dans l'Europe issue du démembrement des empires centraux, l'antisémitisme fait partie intégrante du discours nationaliste des nouveaux États. Sur[...]
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Écrit par
- Esther BENBASSA : directrice de recherche à l'École pratique des hautes études (Sorbonne), titulaire de la chaire d'histoire du judaïsme moderne
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Médias
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