ANTISPÉCISME
Le concept d’antispécisme est indissociablement lié à celui de spécisme ou d’espécisme, équivalents francisés de l’anglais speciesism. Constitué en référence et par analogie aux notions de racisme et de sexisme, ce terme désigne toute discrimination fondée sur des critères d’appartenance à une espèce biologique donnée. Construit par antithèse, le néologisme anglais antispeciesism, rassemble dans un même rejet toutes les affirmations sur l’incommensurabilité de l’espèce humaine avec le reste du règne animal, et sur l’existence, au sein de celui-ci, de catégorisations – telles qu’animaux sauvages ou domestiques, nuisibles ou utiles, ou encore de compagnie –justifiant de traitements différenciés entre les êtres et groupes ainsi constitués. Les militants qui se revendiquent de l’antispécisme contestent et remettent précisément en cause cette forme spécifique de discrimination, qui place l’espèce humaine au centre et au sommet de l’ensemble des espèces du monde vivant. L’antispécisme s’oppose ainsi à nombre de conceptions ou philosophies de la nature, à commencer par la vision cartésienne, engageant les hommes à se rendre « comme maîtres et possesseurs de la Nature ».
Les contours de nouveaux concepts semblent aujourd’hui encore flous et peu stabilisés. Dans certains espaces sociaux, spécisme et antispécisme sont en effet l’enjeu de nombreuses luttes. Ils servent tout à la fois d’instruments d’analyse en voie de légitimation dans le champ académique et pour certaines disciplines universitaires, de signes de ralliement dans des conflits politiques et de marqueurs dans les rapports de forces internes aux groupes militants de la cause animale.
Bien implanté au Royaume-Uni et aux États-Unis, le discours antispéciste renvoie d’abord et surtout au processus contemporain d’émergence et de développement d’une entreprise originale de représentation politique de l’animal et de ses intérêts supposés. Il prône ainsi une vision critique, radicale et hétérodoxe de la « question animale » et du mouvement social de protection des animaux qui lui préexistait. Il s’agira ici de revenir sur les histoires imbriquées de ce nouveau « porte-parolat » des bêtes, en évoquant, successivement, ses conditions de production, sa genèse dans l’aire culturelle anglo-saxonne, enfin sa difficile importation dans un pays comme la France.
Ancrage britannique du mouvement
La genèse de l’antispécisme est trop souvent réduite à la publication, en 1975, du livre Animal Liberation, ouvrage fondateurde Peter Singer, philosophe australien spécialiste des questions de bioéthique. Elle correspond en fait à une série de mises en circulation de discours entre le Royaume-Uni et les États-Unis, au cours des années 1960 et 1970. Elle s’observe à l’intersection de différents espaces sociaux – mobilisations collectives des années 1960, milieux du militantisme de la protection animale, champs intellectuel et philosophique... Cette genèse se comprend aussi comme actualisation et réactivation de traditions intellectuelles et militantes plus anciennes, structurées à la croisée des xixe et xxe siècles, principalement au Royaume-Uni. Ces multiples transferts et capitalisations sémantiques ont largement contribué à diffuser et à rendre effectives les thématiques antispécistes dans le monde anglophone contemporain.
Il existe en effet des précédents à la critique de l’exploitation humaine de l’animal et à l’affirmation d'une analogie entre les différentes formes d’interrelation aux bêtes et les rapports sociaux de domination et de stigmatisation entre groupes humains. On peut déjà repérer, chez certains auteurs britanniques de la fin du xviiie et du début du xixe siècle – écrivains, poètes et publicistes, parfois végétariens et souvent francophiles prorépublicains voire jacobins comme John Oswald, Joseph Ritson[...]
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Écrit par
- Fabien CARRIÉ : docteur en science politique, chargé de recherche au Fonds de la recherche scientifique de Belgique
Classification
Médias
Autres références
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SINGER PETER (1946- )
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 1 482 mots
...cause la séparation radicale entre humains et animaux introduite par la philosophie occidentale, d’Aristote à Descartes en passant par Thomas d’Aquin. L’apport le plus important de l’ouvrage sur le plan philosophique réside ainsi dans son analyse pénétrante du concept de « spécisme » (qui ne fut pas inventé... -
VÉGÉTARISME
- Écrit par Laurence OSSIPOW
- 5 162 mots
...qui se refusent à toute affirmation d'une différence d'ordre moral entre les espèces du vivant, qui entraînerait nécessairement leur hiérarchisation. Selon l'antispécisme, rien ne justifie que l'animal serve à l'être humain comme aliment, comme pourvoyeur de services ou comme support d'expérimentations....