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BERTIN ANTOINE DE (1752-1790)

Comme Chabanon, Léonard et Parny, comme plus tard Leconte de Lisle, le chevalier de Bertin est né sous les tropiques (à l'île Bourbon). Son œuvre est mince, mais elle mérite de survivre à l'oubli. Transplanté en France dès l'âge de neuf ans, il y mène bientôt la vie facile et dissipée des jeunes officiers nobles de l'Ancien Régime. S'il s'était contenté de ciseler de charmants petits riens pour L'Almanach des Muses ou pour le boudoir des belles qu'il courtisait, on ne verrait en lui qu'un disciple de Dorat ou un autre Boufflers. Mais il est allé plus loin : avec son ami Parny et avec Léonard, il a contribué au réveil du génie élégiaque en France à une époque où le sensualisme triomphant entraînait une irrésistible personnalisation de la poésie. Ses Amours (1780), qui suivent de près la première édition des Poésies érotiques de Parny (1778), font date : il y pratique à sa manière « l'imitation inventrice » prônée quelques années plus tard par André Chénier. « Sans être de véritables confessions, et à condition qu'on y fera largement la part de la fiction et, plus encore peut-être, de l'imitation des élégiaques latins, de Tibulle, de Properce et d'Ovide, ces trois livres sont en quelque sorte la trilogie de ses aventures amoureuses » (Eugène Asse) ; il chante « l'éternelle histoire des amoureux » : victoire, trahison et jalousie, consolation. Ni Lebrun ni Chénier ne le surpasseront dans l'élégie, où il compte parmi les précurseurs de Lamartine et du romantisme. Son Voyage de Bourgogne (1777), ses poésies diverses le montrent habile à sertir des causeries en prose et en vers : poésie intime où, précisément, le vers se rapproche de la prose ; liberté et fluidité du mètre à l'écoute des impressions immédiates ; savante naïveté. Mais Bertin n'est pas seulement une « âme sensible ». Il y a place dans son inspiration pour certaines nostalgies : l'île enchantée, paradis de l'enfance, décor de rêve pour un exotisme naissant (dont on trouve quelques touches également chez Léonard, mais nullement chez Parny) ne s'est jamais effacée de son cœur. Le sentiment de sa propre fragilité fait aussi partie de ce génie très adolescent. Pas plus que Malfilâtre, Gilbert, Berquin, Léonard, le chantre des Amours ne supportera l'épreuve de la longévité. Le mariage eut raison de ses forces et l'emporta dans la tombe. Étrange symbole : comme les héroïnes qu'elle chante, l'élégie souffre d'une maladie de langueur. Par une coïncidence supplémentaire, le destin et les vers du poète reflètent l'art de vivre d'une aristocratie menacée dont l'appétit de plaisir et la perte de toute conscience morale, dénoncées par Laclos dans ses Liaisons dangereuses (1782), sont en contradiction totale avec la révolution qui gronde à l'horizon. Décadence, fin d'un monde et pressentiment délicat de l'avenir, en deçà d'un drame dont on n'a pas la force d'assumer l'éventualité.

— Édouard GUITTON

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne

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