SAINT-EXUPÉRY ANTOINE DE (1900-1944)
La citadelle sur le sable
Centrée sur les expériences d'un homme, l'œuvre de Saint-Exupéry n'en gardait que ce qui intéressait tous les hommes. À travers romans ou fables (Le Petit Prince, 1943) s'édifiait un humanisme. Dès 1936, l'auteur travaillait à une synthèse, de forme allégorique. Au lieu de la « somme » rêvée, Citadelle (1948) n'est qu'un livre inachevé, mélange de pages d'anthologie et d'ébauches, un ensemble de notes et d'improvisations que, selon ses habitudes de composition, il eût peut-être fondues en une parabole riche de la quintessence de son « message ».
Si l'ouvrage tel qu'il se présente trahit évidemment la visée initiale, il permet cependant de nuancer l'éthique un peu lapidaire des textes antérieurs et, de même que les Carnets (1953), contribue à démythifier le héros. Car les fragments qu'on possède, écrits en majorité pendant la guerre, témoignent de plus de tâtonnements que de stabilité, et les contradictions, d'ailleurs conscientes, s'y affirment. Avec non moins d'objectivité que de finesse, Luc Estang a exploré ce « bazar d'idées ». Et, parmi les thèmes familiers qui firent la célébrité de l'auteur – la ferveur constructive, une morale virile fondée sur le service et le dépassement, les relations humaines conçues comme l'essence de l'être –, le critique constate les faiblesses d'une optique sociale plutôt paternaliste, les limites d'une civilisation foncièrement aristocratique dont le seigneur peut aisément devenir le tyran. Il suggère que « l'humanisme de Saint-Exupéry oscille constamment entre l'Évangile du Christ et le contre-Évangile de Nietzsche, comme s'il tentait de reconvertir à leur source religieuse des valeurs subversives dont la virulence s'y infiltrerait ». Son réalisme spiritualiste penche vers un spiritualisme relativiste dont le Dieu nécessaire apparaît peu consistant.
Si la « mouvance » des sables n'infléchit pas la démarche de Saint-Exupéry, elle l'accule à remettre tout en question, jusqu'au sens du langage. Citadelle ne signifie donc pas installation ni dogmatisme ; elle serait plutôt le symbole de la fermeté de l'esprit et de la fidélité à l'homme, quoi qu'il arrive.
Poète de l'avion au même titre que le marin Joseph Conrad fut « le romancier de la mer », Antoine de Saint-Exupéry, sans en posséder ni la dimension ni les registres, fait penser à Malraux dont il a sans cesse vécu l'engagement autant que la quête de l'absolu.
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Écrit par
- Hubert HARDT : professeur honoraire, critique de cinéma
Classification
Média
Autres références
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LE PETIT PRINCE, Antoine de Saint-Exupéry - Fiche de lecture
- Écrit par Michel P. SCHMITT
- 997 mots
Environ un an avant la disparition d'Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) au cours d'une mission aérienne, paraît aux États-Unis Le Petit Prince. Proche du conte (départ du héros, voyages éprouvants, découverte d'un secret), l'œuvre s'inscrit dans le prolongement de ...